L’automne

 

 

             Dès que l’arbre a fini, le sillon recommence.

                                                           Victor Hugo.

 

 

Jeanne, voici venir l’automne

Frileux et richement paré

Du pampre jaune qui festonne

Son large manteau bigarré ;

 

Voici venir les froides bises,

Les matins pâles et brumeux,

Les ombres sur les plaines grises,

Le givre aux buissons épineux.

 

Le brouillard couvre la colline,

Ses bois et ses ravins profonds,

Comme la blanche mousseline

Dont tu voiles tes cheveux blonds...

 

Il court sur l’horizon bleuâtre...

Et des rochers gravit les flans ;

Comme fit, sous le fouet du pâtre,

Un grand troupeau de moutons blancs ;

 

Des sapins verts les hautes cimes

Planent sur lui, sombres îlots,

Ainsi qu’on voit sur les abîmes,

Un rocher noir surgir des flots...

 

Un rayon sur leur front morose

Glisse et semble se balancer

Comme une longue écharpe rose

Qu’un filet d’or vient nuancer.

 

Sous les frissons de la froidure

La forêt change de décor ;

Les arbres pleurent leur parure,

Leurs larmes sont des feuilles d’or !

 

Sur les vallons et sur les plaines

Le soleil passe en souriant

Et va changeant ses verts domaines

En un beau tapis d’Orient... –

 

Jeanne, voici venir l’automne,

Voici les longs jours pluvieux ;

Des vents la plainte monotone

Est l’écho des tristes adieux...

 

– Adieu, chantent les pâles roses,

Au printemps, sur les églantiers,

D’autres que nous seront écloses

Et parfumeront vos sentiers !...

 

– Adieu, dit le pigeon rapide,

Je vais passer les grandes mers

Pour trouver un ciel plus limpide,

Des fruits dorés, des arbres verts !

 

– Adieu, répète l’hirondelle.,

Là-bas j’aurai de plus beaux jours ;

Il faut du soleil à mon aile,

De chauds abris pour mes amours !...

 

Ainsi le vent murmure et pleure,

Sous nos pauvres toits désolés,

Les adieux qu’envoient à chaque heure

Nos joyeux hôtes envolés !...

 

Seul, le laboureur, la main pleine,

Dans le sillon, sitôt comblé,

Fait germer l’espérance humaine

En semant le grain de son blé !

 

Il semble sur ce front rustique,

Mouillé de pluie et de sueur,

Que Dieu fait d’une aube mystique

Planer la sereine lueur !

 

Grave et pensif, il va sans crainte,

Pontife humble et laborieux,

Recommencer cette œuvre sainte

De l’avenir mystérieux !... –

 

Jeanne, voici venir l’automne,

L’horizon va se rembrunir...

La terre ou tout tremble et frissonne

Semble ne plus se souvenir

 

De ces jours joyeux qui s’égrènent

Comme les perles d’un collier,

Que tous les étés nous ramènent

Que les hivers font oublier !

 

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.... Mais de la campagne déserte,

Comme un gage de renouveau,

Dieu fait croître la robe verte

Sous les plis de son froid manteau !

 

 

 

Amélie GEX, Poésies, 1879.

 

 

 

 

 

 

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