La robe grise

 

 

Petite fille en robe grise...

 

Ses tresses sont comme de l’ouate.

« Petite fille, petite fille, à qui es-tu ?

– À maman... ou à personne.

Si tu veux, je serai à toi. »

 

Petite fille en robe grise...

 

« Petite fille, crois-tu aux caresses ?

Chérie, où sont tes yeux ?

 

– Les voici, mes yeux... vides...

Tout comme chez maman.

 

– Petite fille en robe grise,

Avec quoi joues-tu ?

Que me caches-tu ?

 

– Comme si j’avais le temps de jouer ! Tu crois ça !

Je ne compte pas mes tâches urgentes.

Tantôt je tranche avec mes dents le fil qui attache les perles,

Tantôt c’est une jeune pousse que je dessèche.

Je déchire les pages des livres

Et brise les ailes des oiseaux...

 

– Petite fille en robe grise,

Petite fille aux yeux vides,

Dis-moi quel est ton nom !

 

– Chacun m’appelle à sa façon :

Comme ceci ou comme cela.

Certains m’appellent Désunion,

Ou encore Hostilité.

On m’appelle Doute,

Ou bien Angoisse.

D’autres m’appellent Ennui,

Et aussi Tourment...

La Mort, ma mère, m’appelle Séparation,

Moi, la petite fille en robe grise... »

 

 

 

Zénaïde GHIPPIUS,

Poésies, vol. III.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie russe

du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert

et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.

 

 

 

 

 

 

 

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