Nous t’aimons
Oui, langue où se reflète une âme,
Nous t’aimons, verbe fait de flamme,
Verbe fait d’exquise douceur.
Souple comme une aile d’abeille,
Riche comme la fleur vermeille.
Ta cadence est celle d’un chœur
Et tes rythmes, à notre oreille,
Semblent des battements de cœur.
L’erreur à la parole obscure
Te sait claire, précise, pure
Et craint la force de tes traits.
Quel fleuve a dans son abondance
Ta cristalline transparence ?
Tes mots sont chastes et discrets ;
Quand tu vibres, langue de France,
La lyre même est sans attraits.
La voix de la cloche chrétienne,
Si jamais l’âme canadienne
Perdait souvenance de toi,
Morne, lugubre, endolorie,
N’éveillerait plus la patrie
Qu’en sanglotant dans son beffroi.
Car le malheureux qui t’oublie
A déjà renié sa foi.
Règne, réjouis notre aurore,
Ô ma langue, et console encore
Notre vie au seuil du tombeau.
Conserve les airs de tendresse
Que nos mères chantent sans cesse
En veillant auprès d’un berceau ;
De nos vierges dis l’allégresse
Quand l’hymen offre son flambeau.
Règne, domine par le monde ;
Hélas, le mensonge l’inonde,
Sois son constant libérateur.
Brille, sois la vive étincelle,
Coule, sois l’onde qui ruisselle,
Plais ! sois le féerique enchanteur,
Chante ! sois l’hymne universelle
Qui monte vers le Créateur.
Règne, règne, langue française,
Règne, conquiers, domine, apaise,
Âme vivante des aïeux.
Flamboyante comme le glaive,
Combats les bons combats sans trêve,
Fais bénir ton sceptre en tous lieux,
Et garde-nous toujours ce rêve
Que tu vivras toujours aux cieux.
1917
Joseph GINGRAS, Fidélité,
Montréal, 1958.