Paraphrase du Cantique d’Ézéchias

 

 

Dans les vives douleurs dont je sens les atteintes,

Seigneur, c’est donc en vain que je te fais mes plaintes,

Au milieu de mes jours je verrai le cercueil ;

Mes péchés m’ont réduit en cet état funeste.

Mon mal est sans remède, et le bien qui me reste

N’est que le repentir de mon premier orgueil.

 

Alors que j’espérais un grand nombre d’années,

Je vois sur l’horizon mes dernières journées,

Les vœux pour mon salut sont des vœux superflus ;

Claire source des biens de qui la terre abonde,

Feux qui marchez sans cesse, et vous, flambeaux du monde,

Image de mon Dieu, je ne vous verrai plus.

 

Sortez de mon esprit, espérances frivoles,

Honneurs, pompes, trésors qui fûtes mes idoles,

Objets vains et trompeurs de mes jeunes désirs ;

La beauté de mes jours s’écoule comme un songe,

Et dans ces tristes lieux où la douleur me plonge,

Le jour ne luit jamais, non plus que les plaisirs.

 

À peine de mes ans la trame est-elle ourdie

Que je la vois couper par une maladie

Dont l’art des médecins irrite les efforts ;

Le jour m’est importun et la nuit m’épouvante,

L’avenir me fait peur, le passé me tourmente,

Et, devant que mourir, je souffre mille morts.

 

Rois, qui ne connaissez d’autres dieux que vous-mêmes,

Qui pensez que la mort craindra vos diadèmes,

Lisez votre destin dans mon triste accident ;

Il ne me reste rien de ma première pompe,

Je perds la majesté de l’état qui vous trompe,

Et, devant mon midi, je vois mon occident.

 

Ce Dieu dont la colère est un trait de tonnerre,

Qui fait mouvoir les cieux, qui fait trembler la terre,

Donne un juste supplice au mal que j’ai commis ;

Mes plaisirs sont passés, la gloire m’abandonne,

Et la mort toute seule abat une couronne

Que j’ai su conserver contre mille ennemis.

 

Seigneur, comme autrefois tu ne m’es plus propice,

Tu veux que ta puissance éclate en mon supplice,

Qu’il montre à tous les rois combien pèse ta main,

Et je te vois pour moi tel qu’un lion superbe,

Qui, d’un cruel effort, terrasse dessus l’herbe

Une faible brebis pour contenter sa faim.

 

Puisque ce sont tes mains qui règlent ma fortune,

Il faut qu’en cet état ma douleur t’importune,

Il faut pour te fléchir que j’élève ma voix,

Imitant les accents des chastes tourterelles,

Qui, pendant leur veuvage, en leurs flammes fidèles,

Troublent par leurs soupirs le silence des bois.

 

Belles voûtes d’azur, trônes de la lumière,

Des esprits affligés d’espérance dernière,

Mes regards vainement sont attachés sur vous ;

C’est en vain que je prie, en vain je fonds en larmes,

L’excès de mon orgueil vous fit prendre les armes,

L’excès de mon regret ne vous rend pas plus doux.

 

L’orage qui m’attaque accroît sa violence,

Seigneur, fais dessus moi reluire ta clémence,

Éloigne de ma tête un malheur éternel ;

Retire-moi des flots, apaise leur colère,

Car, si je t’ai pour juge, aussi t’ai-je pour père,

Et je suis ton enfant, si je suis criminel.

 

Moi, que puis-je alléguer pour excuser mon crime ?

La peine que je sens n’est que trop légitime,

Mes péchés m’ont conduit à ce moment fatal :

À qui dois-je conter ma funeste aventure ?

Comment puis-je adoucir le tourment que j’endure,

Puisque mon médecin est l’auteur de mon mal ?

 

Avec quelque rigueur que ta main me punisse,

Je confesse, grand Dieu, que tu me rends justice,

J’ai mérité le mal que tu me fais sentir ;

Aussi pour détourner la mortelle tempête,

Que mon ingratitude attire sur ma tête

Je ne veux employer que le seul repentir.

 

Que si pour t’apaiser et t’arracher la foudre

Qui veut de mes lauriers faire un morceau de poudre,

C’est trop peu que mes yeux ne cessent de pleurer ;

S’il faut, pour vivre en toi, mourir à mes délices,

Ne crains point de frapper, redouble mes supplices,

Dans l’espoir du pardon je puis tout endurer.

 

Quand mille exploits fameux me couronnent de gloire,

Qu’une profonde paix, doux fruit de ma victoire,

Mêle dans mes États l’abondance aux plaisirs,

La mort couvre mes yeux de ses voiles funèbres,

Et, changeant ma lumière en de tristes ténèbres,

Me ravit tous les biens qui flattaient mes désirs.

 

Ô mes yeux, arrêtez vos humides fontaines !

Mon Dieu reçoit ma plainte, il soulage mes peines,

Il éclaire mon âme, il brise tous ses fers ;

D’un éternel oubli mes fautes sont couvertes,

Mon bien va surpasser la grandeur de mes pertes,

Et j’espère le ciel si j’ai craint les enfers.

 

Quand ta juste rigueur m’eut la clarté ravie,

La perte de mon sceptre et celle de ma vie

Donnait-elle du lustre à ton divin pouvoir ?

Dessus le front des cieux ta puissance est écrite,

Mais ceux que ta rigueur au tombeau précipite,

Cessent de la louer en cessant de les voir.

 

Ce bel astre du jour et ces claires étoiles

Que la nuit laisse voir au travers de ses voiles

Ajoutent à mon zèle une nouvelle ardeur,

]’admire les beautés dont la terre est pourvue,

Et ces plaisirs divers ne plaisent à ma vue

Qu’à cause que j’y vois des traits de ta grandeur.

 

Seigneur, conduis mes pas au bout de la carrière,

Prête toujours l’oreille à ma juste prière,

Répands toujours sur moi ta divine faveur ;

Et, dans ce temple auguste où l’on voit ta justice

Abandonner la foudre au moindre sacrifice,

Je publierai toujours que tu fus mon Sauveur.

 

 

 

Antoine GODEAU.

 

Recueilli dans Anthologie religieuse des poètes français,

t. I, 1500-1650, choix, présentation et notes d’Ivan Gobry,

Le Fennec éditeur, 1994.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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