Une jeunesse

 

 

Mon poème est en moi comme un cri de bataille,

Car ma jeunesse s’arme, affrontant à l’écart

Toute splendeur humaine, et sa beauté tressaille

Seule, embrasée, unique et brûle mes regards.

 

Dans la forêt de pins, où la flamme déferle

Comme en d’autres le vent, tous mes songes d’enfant,

Bondissants sur des eaux plus pâles que la perle,

Revenaient atterrir aux bûchers triomphants.

 

Je tournais avec fougue, et non moins d’allégresse,

Ma pureté vers Dieu, que les dômes d’argent

Des pins se dévouaient au feu qui les caresse

Et les iris marins aux dauphins indulgents.

 

Ô gloire, ô jeune amour, espérance divine,

Que vous frappiez mon cœur, que vous brûliez mon sang,

Quand ma tresse, pareille aux torches de résine,

Traînait sur le sillage un signe éblouissant !

 

Un léger vaisseau blanc, longeant la forêt basse,

Suivait le fil brillant des courants les plus sûrs

Et sa proue, écaillée ainsi qu’une cuirasse,

Renvoyait le soleil et rétorquait l’azur.

 

J’avais posé ma bouche au fond des bois sauvages

Dans la fauve liqueur qui tombe des grands pins,

Et pour nourrir sans fin mon immense courage

Un éternel amour m’avait donné son pain.

 

Tout était donc à moi : la grâce avec la gloire !

Un tel immense espoir, et de vol plus traqué,

Je n’imagine point ! Il passe la mémoire,

Et, d’un coup, s’abattit sur mon cœur suffoqué.

 

 

                                    *

 

Une main sans défaut vint empoigner ces songes

En leur course, et l’Amour, redoublant son pouvoir

Une seconde fois s’emparant de sa longe,

Mena ma douce enfance à ses clairs abreuvoirs.

 

Voici le blanc chemin sous l’olivier qui ploie,

Et les grillons d’Aguet, pressants et bruissants,

À la descente, hélas ! des cimes de la joie

Dont la neige majeure éclaire les versants...

 

Ma bouche n’atteint plus que la feuille émondée,

Mon cœur impétueux s’irrite de sa loi,

Et je connais le poids et les grains de l’ondée,

Les gaules de la mort, les glaives de la foi.

 

Je marche doucement, ô berger, sur tes traces,

Et le poème sonne, ainsi qu’un pur grelot,

Dans l’ombre enguirlandée où dominent les masses

Des silences altiers, comme autour d’un complot.

 

 

                                    *

 

Un seul amour renaît des pleurs que fait répandre

Le coup cruel et fort que sa lance a porté !

C’est au milieu du camp qu’il me voulut surprendre,

Tel César affrontant un soldat rebuté...

 

Sur la route publique, et marché des Victoires,

(La plus belle, où les arcs ont la couleur du vin),

Sur le forum de Rome aux rudes promontoires,

Mon Dieu m’a reparlé comme un ancien voisin.

 

Je retenais au cœur une eau vive en sa course

Comme fait, dans son puits et ses mille vaisseaux,

Juturne, la guerrière et la mère des sources,

Mais elle me fuyait, débordant par sursauts.

 

La palme, et sur le ciel, ces colonnes flambées

Qui montent au soleil, pures comme trois vœux,

Les volutes de feu des grands marbres d’Eubée

Et la flore d’acier de ces lauriers nerveux.

 

Tels étaient vos présents, ô mon amour insigne,

Quand vous veniez vers moi, dans le jardin dompté

Par les jougs de midi ; plus suave qu’un cygne

Sur le lac rayonnant de la virginité.

 

 

                                    *

 

Le chant de mon enfance expire sur la flûte,

Et sur le bel accord de ton nom musical :

Il Beato !... Sans fin se poursuivent les luttes

De mes songes autour d’un songe sans égal.

 

Qui donc fera monter la maison qui, signée

De nos deux noms unis, eût fait voir, au portant,

Ses colonnes de sons et de chants, alignées,

Pour l’émerveillement des hommes de ce temps ?

 

De vous à moi, la flamme a joué, si divine

Qu’il fallut pour l’éteindre une haleine de Dieu ;

Pour l’attiser, non moins que les vents qui ravinent

La rouge tour de Sienne et son lys orgueilleux.

 

Ces maîtres vents, chargés des parfums de Toscane

Et de l’odeur de sang du village embrasé,

Ces grands vents léonins, dont l’ample caravane

Se prenait de conflit sous le ciel reposé.

 

Ô Tour de Sienne, encor, que haute tu flamboies

Sur mes champs de mémoire, et qu’à ton pur sommet

J’ai cueilli de beauté, de pureté, de joie,

Comme à la cime extrême où le destin nous met !...

 

Si j’ai vu se voiler cette face hautaine

Sous les lauriers croisés et sombres de la mort ;

Si cette oreille exquise, et penchée aux fontaines,

Est sourde au fond du sol, et de l’âme et du corps

 

N’entend plus l’assonance ; ô Beato ! me reste

Qu’il serait téméraire aujourd’hui de pleurer,

Quand tu fais entonner aux milices célestes

Le chant que mon silence a peut-être inspiré.

 

 

                                    *

 

Immense fut ta gloire, ô ma grande jeunesse !

Immense fut ta grâce, immense ta douleur ;

Un seul amour préside à toutes ces prouesses,

Sur ton visage en feu se mêlent tous les pleurs.

 

Car ma vie est pareille à la longue buccine :

Plusieurs mains, de concert, l’élèvent dans son jeu ;

De droit, un seul y touche et jette à sa racine

Le trait d’un souffle juste et clair comme le feu.

 

Je l’ai vue, en relief, sur des arches romaines

Maintes fois, en suspens sous des cieux flamboyants,

Qui n’espérait un cri d’aucune bouche humaine ;

Mais, si haut soulevée, attendait en brillant

 

Qu’un Seul vînt et lui dît : « Ô voix trop dérisoire,

Je te redresse enfin, moi, ton Dieu : Donne avis,

Annonce, à la criée, une antique victoire

Prise sur cette mort par laquelle tu vis. »

 

 

 

Mercédès de GOURNAY.

Paru dans le Roseau d’or en 1928.

 

 

 

 

 

 

 

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