La fin du monde

 

 

Déjà des présages terribles l’annoncent ; du fond des cavernes et des antres, il sort des sons lamentables et plaintifs. On entend dans les airs des voix nombreuses qui gémissent, toutes les feuilles des forêts s’agitent d’elles-mêmes ; les animaux épouvantés poussent des hurlements, prennent la fuite et se jettent dans des précipices. Les cloches ébranlées par une force inconnue, répandent au loin les accents lugubres de la mort, on dirait qu’elles sonnent le trépas du genre humain. Les montagnes s’ouvrent et, vomissent des tourbillons de flamme et de fumée. Les flots de l’Océan deviennent livides, et sans être soulevés par les vents et les tempêtes, ils mugissent, ils se brisent avec fureur contre les rivages, en roulant des cadavres. Toutes les comètes, qui depuis la création avaient effrayé les hommes, se rapprochent de la terre et rougissent le ciel de leurs chevelures épouvantables ; le soleil pleure, son disque est couvert de larmes de sang.... Dieu donne le premier signal de la résurrection des corps. Les cieux y répondent par des cris d’allégresse ; les enfers en frémissent, ses habitants s’enfoncent dans les flammes pour s’y cacher. Des anges placés aux pieds du trône de Dieu sonnent les trompettes du dernier jour, dont les éclats sont entendus jusqu’aux limites de l’univers. Aussitôt les corps qui recèlent des substances de l’homme se hâtent de les rendre. Au Nord, la glace se rompt pour leur donner un passage. Sous les tropiques, l’Océan bouillonne et les vomit sur ses rives. Ils sortent des tombeaux qui s’ouvrent, des arbres qui se fendent, des rochers qui se brisent, des édifices qui s’écroulent. La terre est un volcan immense d’où, par un nombre infini de bouches, s’élancent des ossements et des cendres....

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Cette multitude d’êtres est si prodigieuse, que l’imagination effrayée ne comprend pas comment la terre a pu les nourrir et les porter. Les uns secouent la poussière et la cendre qui souillent leur visage et leur corps ; les autres, couverts des vêtements de la mort, s’en dépouillent à la hâte et les jettent avec horreur loin d’eux. Les navigateurs que les flots engloutirent sont jetés sur les rivages des mers et se lèvent tout éperdus ; l’eau ruisselle de leurs narines, de leurs cheveux, de tout leur corps ; ils frémissent à la vue de l’Océan, et paraissent craindre encore l’élément qui les perdit. Tous les hommes se répandent sur la terre qui ne suffit plus pour les contenir. Beaucoup de morts rendus à la vie, et retenus par la foule qui les comprime dans leurs tombeaux et les gouffres des cimetières, sont impatients d’en sortir. Alors Dieu dit aux mers des deux mondes de s’évanouir ; à sa voix elles disparaissent, et les hommes se précipitent dans leurs bassins desséchés ; ils les remplissent bientôt ; ils y sont plus pressés que les épis qui dorent les plaines fertiles ; Dieu dit à la terre de s’agrandir, aussitôt les montagnes s’aplanissent, la terre de toutes parts allongée devient un plateau immense qui se couvre de tous les humains que les siècles virent naître.

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Dieu commande que le voile qui dérobe aux regards la conscience des morts tombe, et qu’elle soit visible comme le soleil lorsque dans un jour sans nuage il éclairait l’univers. Tous les coupables sont confus de voir leurs crimes et leurs remords à découvert. Ils semblent vouloir cacher leurs consciences de leurs mains, sous leur tête qu’ils courbent sur leur poitrine... mais c’est en vain, leurs bras, leurs mains, leur tête, tous les corps sont diaphanes et transparents ; leurs premiers supplices sont les regards des justes qu’ils ne peuvent supporter. Le parricide fuit son père qu’il empoisonna ; le juge inique, l’innocent qu’il condamna ; l’épouse adultère, l’époux crédule qu’elle trompa. Tous les scélérats fuient. Tous les hommes vertueux, les justes, à leur tour reculent d’horreur au spectacle hideux des consciences que le crime a souillées : les justes cherchent les justes, les méchants cherchent les méchants...... Des éclairs embrasent le ciel, le tonnerre gronde. Dieu, suivi de ses anges, vient sur des nuages d’or et d’argent achever le jugement dernier. Il embrasse d’un seul regard cette grande multitude d’humains ; il voit qu’ils se sont eux-mêmes jugés... selon le rang de leurs iniquités..... Il fait un signal, il veut que les corps des justes deviennent plus légers que la vapeur la plus subtile. Soudain ils perdent la pesanteur qui les retenait à la terre, ils s’élèvent dans les cieux. Tandis que les méchants voient en frémissant le triomphe des justes, la terre tremble sous leurs pieds, elle s’écroule, ils tombent avec elle dans des gouffres sans fond.

 

 

M. de GRANVILLE.

 

Recueilli dans Tablettes romantiques, 1823.

 

 

 

 

 

 

 

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