Heureux l’homme qui voue en sa pensée austère...

 

 

Heureux l’homme qui voue en sa pensée austère

Un temple intérieur à l’éternel mystère

Et grave comme un prêtre, humble comme un enfant,

Ignore, cherche, espère, et médite, et défend

La porte de son âme aux amours illusoires !

Heureux qui se réveille et sort des cités noires

Comme un soldat des camps, comme un marin des flots !

Heureux qui songe à l’heure où les destins sont clos !

Déjà l’immense paix l’ombrage de son aile ;

Un crépuscule blême au fond de sa prunelle

Met une lueur sombre et fauve tour à tour,

Qui, n’étant plus la nuit, n’est pas encor le jour.

Et tout, soupirs, sanglots, plaintes, rumeurs profondes,

Tumulte humain, se tait comme le bruit des ondes

Lorsque la mer s’endort sur les sables épars.

Paisible, de la rive il rêve aux grands départs,

Au navire inconnu qui dans l’ombre appareille

Et l’emporte et s’en va vers la côte vermeille

Où, sous les pins courbés, immobiles et beaux,

Las rocs prennent, le soir, la forme des tombeaux.

Comme le voyageur qui, seul dans la nuit brune,

À travers les agrès voit se lever la lune,

Heureux qui, sans faiblir, regarde fixement

Croître la mort sereine au bord du firmament !

 

 

 

André-Charles-Romain de GUERNE, Les Flûtes alternées.

 

 

 

 

 

 

 

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