Les merveilleuses contrariétés

qu’on expérimente dans l’amour

 

FRAGMENTS

 

 

Vaste désert, rochers, forêt obscure

Où le soleil ne pénètre jamais,

Lieux qui sont terribles à la nature,

En vous je trouve tout ce qui me plaît.

 

... Soleil, je me dérobe à ta lumière,

Je m’éloigne avec soin de ta clarté :

La sombre nuit en fermant ma paupière

M’éclaire bien plus sur la vérité.

 

Lieux de tous temps consacrés au silence,

Bois dont le front semble approcher les cieux,

Je puis avec vous en toute assurance

Plaindre un tourment qui m’est délicieux.

 

... Lieux écartés, que vous avez de charmes !

J’exhale en vous mon plaisir, ma langueur,

Si je ris ou si je verse des larmes,

Est-ce de plaisir ou bien de douleur ?

 

Je n’en sais rien, je m’ignore moi-même,

Je ne connais désir ni sentiment :

Je suis tout amour et ne sais si j’aime,

Hélas ! j’ai perdu tout discernement.

 

Je vis et ne puis discerner ma vie,

Je suis nourrie et j’ignore de quoi,

Je ne sens de disette ni d’envie,

Tout est vide et plein à ce que je crois.

 

Qui peut faire des effets si contraires ?

Ah ! qui les fait, Amour, si ce n’est vous ?

Mon cœur content, qui le peut satisfaire ?

Est-ce le rien ? Serait-ce mon Époux ?...

 

 

Jeanne-Marie GUYON.

 

Extrait de Poésies et Cantiques spirituels, 1722.

 

 

 

 

 

 

 

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