Modestes méditations sur l’infini

 

 

 

J’observai le lever des étoiles, car c’est là un spectacle qui permet bien à l’homme de mesurer sa propre insignifiance. Mais si l’esprit se lasse vite quand il veut se mesurer à l’Infini et suivre la marche du Tout-Puissant en parcourant Ses sphères, ou deviner Ses desseins d’après Ses œuvres, c’est que la connaissance est pour les forts, et que nous sommes faibles. Trop de savoir nous aveuglerait sans doute, et trop de force nous enivrerait; notre raison écrasée, nous serions noyés dans notre propre vanité. Quel est en effet le premier résultat qu’obtient un homme de science quand il scrute de son regard de myope le livre de la Nature ? N’est-ce pas trop souvent de douter de l’existence même de son Créateur, parfois même de tout dessein raisonné autre que le sien propre ? Si la vérité est heureusement voilée, c’est que nous ne pouvons pas plus supporter l’éclat de sa gloire que celui du soleil. L’esprit de l’homme est si vite saturé que la millième partie de la Sagesse ineffable qui dirige les mouvements des astres et de la Force qui les meut, si elle était versée en lui, le détruirait sur-le-champ. En sera-t-il autrement, en d’autres lieux, en d’autres temps ? Qui peut le dire ? Le lot de l’homme ici-bas, de l’homme né de la chair, est de supporter le travail et la peine, de poursuivre ces bulles dérisoires soufflées par le destin – et qu’il nomme plaisirs, tout heureux qu’elles restent un moment dans sa main –, puis, à l’heure du trépas, quand la comédie se termine, de passer humblement il ne sait où.

J’observai les étoiles et les boules de feu nées du marais, et je pensai voir là une image de ce qu’est l’homme aujourd’hui, et de ce qu’il pourrait devenir un jour si la Force qui l’a fait naître en décidait ainsi. Quelle joie alors si nous pouvions sonder par les yeux de la pensée les profondeurs de l’Infini ! Quelle joie de dépouiller notre vêtement terrestre et de ne plus être, comme ces lueurs fantômes, ballottés par des forces au-dessus de notre contrôle, ou auxquelles – si nous les contrôlons parfois – notre nature nous contraint d’obéir ! Oui, rejeter le séjour impur de ce monde, et reposer enfin dans les hauteurs, éclatant du meilleur de nous-mêmes qui ne brille encore en nous que si faiblement ! Et perdre enfin notre petitesse dans l’immense gloire de notre rêve. Ce Bien invisible mais toujours présent, d’où viennent toute vérité et toute beauté. Ainsi rêvais-je cette nuit-là – mais qui peut prétendre n’avoir jamais subi la tourmente de semblables pensées ? Et je dis tourmente, car hélas ! penser n’est guère que mesurer l’étroitesse de notre esprit – que peut en effet notre faible plainte dans le silence vertigineux de l’espace ? Et notre obscure intelligence est-elle jamais capable de lire les secrets de ce ciel étoilé ? Non, non, jamais de réponse ! Rien qu’échos et visions fantastiques ! Et pourtant, nous croyons à cette réponse, nous croyons qu’un jour une aube fulgurante déchirera l’horizon de notre longue nuit, – n’avons-nous pas déjà le reflet de sa beauté que l’on nomme espérance ?

 

 

Henry Ryder HAGGARD.

 

Extrait de She, roman traduit de l’anglais par Michel Bernard.

 

 

 

 

 

 

 

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