Les cygnes sur les eaux...

 

 

                                                                     Et leurs rames de chair aux mouvements tranquilles

                                                                     Ourlent de sillons doux les flots larges et clairs.

                                                                                                                 BARONNE DE BAYE.

 

 

Les Cygnes sur les eaux profondes et lointaines

Passent, leurs cols de neige ont fui devant tes yeux.

Et tu reviens t’asseoir sous des portraits d’aïeux,

Pages, Hérauts, Mignons, Prélats et Capitaines.

 

La fenêtre est ouverte au silence des bois.

Un grand fauve, arrêté là-bas dans la fougère,

Cherche, au souffle du vent, d’une oreille légère,

Les galops de la veille et les derniers abois.

 

Hier, près de l’étang où les biches vont boire,

À l’heure où le soleil dorait les pavillons,

Sur la lande, il a vu, dans l’éclat des rayons,

Apparaître et bondir ta forme souple et noire.

 

Le fauve a regagné les bois silencieux.

S’en vont les beaux ramiers, passent les tourterelles ;

L’ombre douce du parc effleure les tourelles,

Et le Songe ouvre en toi son vol mystérieux.

 

Dans le rêve qui tient ta paupière baissée

Vois-tu l’Amant d’hier incliné sur ta main ?

S’il revenait, comment lui barrer le chemin

Et sous quels mots cruels lui cacher ta pensée ?

 

Si tu les prononçais il ne répondrait pas,

Aucun cri ne viendrait redresser ta paupière

Pendant qu’il descendrait cet escalier de pierre

Moins dur et moins profond que l’orgueil de ses pas.

 

Et ton âme troublée aime cette âme étrange.

D’autres se sont courbés dont tu ne fis nul cas.

Et les lèvres d’un seul sur tes doigts délicats

De la dentelle fine ont fait trembler la frange.

 

Pourquoi souffrirais-tu de ton désir caché ?

Si l’amour éternel est né d’une heure brève,

Ne crains jamais celui qui peut vivre son rêve

Sans bruit, sans trahison, peut-être sans péché.

 

Les Prélats onctueux, les Mignons un peu mièvres,

Les Hérauts dont on voit dans l’ombre les yeux vifs,

Les Marquis dédaigneux et les Pages naïfs

Ont tous le même pli moqueur au coin des lèvres.

 

Mais quand le noble amour dira son chant exquis,

Ils le compareront aux antiques fadaises,

On verra les mentons remuer sur les fraises,

Et les Prélats charmés convaincront les Marquis.

 

Lève-toi devant eux, ô bien-aimée, ô reine !

Puis sur les champs déserts d’où partaient les faucons,

Seule et pâle, appuyée au fer des vieux balcons,

Dresse enfin dans le soir ta beauté souveraine.

 

Regarde la Forêt où le soleil descend :

Elle s’allonge en loin comme la lèvre hostile

De quelque noir abîme, et l’astre qui rutile

S’y couche magnifique, énorme, éblouissant.

 

Tout resplendit, les bois, les étangs, les fontaines.

Il vient, l’Amant du soir, épris de ce décor.

Il vient. L’heure est divine. On voit glisser encor

Les Cygnes sur les eaux magiques et lointaines.

 

 

 

Paul HAREL, Les Heures lointaines.

 

 

 

 

 

 

 

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