Le vieux logis

 

 

Pénétrons, si tu veux, dans le cher paysage

Où la vieille maison montre son vieux visage.

L’herbe a pris les sentiers, elle envahit le seuil

Du logis déserté qui semble un être en deuil,

Ouvrant, plein de mystère et plein d’inquiétude,

L’œil noir de la fenêtre à tant de solitude.

 

Entrons. Dans le silence immuable et profond

Nous demeurons surpris du bruit que nos voix font.

Taisons-nous. Le néant des choses nous regarde.

De l’escalier poudreux, où le pied se hasarde,

Nous voyons, évoquant les êtres à demi,

La place où des aïeux très lointains ont dormi ;

L’ombre du corridor, la nuit des cheminées

Par tant de feux ardents jadis illuminées.

Plus de réveils d’enfants : les rires sont éteints

Dont l’éclat répondait à l’éclat des matins.

Plus d’ordres, plus d’appels. En ces murs où nous sommes

Qui donc nous redira ce qu’ont voulu les hommes ?

Devant ce crucifix, dans l’alcôve oublié,

Triste, au bord de la nuit, quelque femme a prié.

Peut-être que la chambre où tu pénètres seule

A vu la jeune fille incliner vers l’aïeule

Un front chargé de rêve et de crainte et d’amour.

Leurs secrets ont été le murmure d’un jour.

Rien n’est plus.

 

                           Descendons. Vois, la cour est déserte.

Ne trouble pas l’écho que ta voix déconcerte.

Les lieux déserts, témoins des âges révolus,

Sont comme des tombeaux : l’homme n’y parle plus.

Là des gens ont vécu dont nul ne sait l’histoire.

Ils ont mis sur la terre une ombre transitoire.

Le grave enseignement qui nous vient du passé

S’augmente en mon esprit du peu qu’il a laissé.

Viens près de moi. Le temps détruit l’homme et la pierre.

Malgré les pleurs amers qui brûlent ta paupière,

Cherchons ensemble, autour des prochains horizons,

Les visages éteints de nos vieilles maisons.

 

 

 

Paul HAREL, Heures lointaines, 1904.

 

 

 

 

 

 

 

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