Nativité

 

 

                                                Ils m’ont accueilli défaillant

                                                Dans leur cortège de misère

                                                Vers ta puissance et ta pitié.

                                                 (Camille Melloy)

 

 

 

                                      I

 

La lune est apparue au sommet des collines

Où les pins alourdis de blanches crinollines

Semblent monter la garde autour des champs déserts

Et des logis pareils à des vaisseaux sans voiles,

À jamais échoués sur des galets d’étoiles,

Tandis qu’un vent de cloche aiguillonne les airs.

 

Ainsi que les bergers de la nuit merveilleuse,

Ayant baissé le feu des lampes en veilleuse

Sous le commandement des carillons pieux,

Les villageois émus, d’une âme fraternelle,

Gardant cette fierté de race en leur prunelle,

Cheminent vers l’église où priaient les aïeux.

 

Dans un coin de la nef, faite en pierres de taille,

On a dressé l’étable, avec un peu de paille

Dans la crèche servant de ber à l’Enfançon ;

Simple poupon de cire aux yeux de porcelaine,

Frisé comme l’agneau de Pâques dans la plaine

Et blond comme le chanvre au temps de la moisson.

 

Chacun vient à son tour faire brûler un cierge,

Qui réchauffe le cœur de la très sainte Vierge

À genoux près du bœuf si luisant de rousseur.

La Jeunesse, déjà, rêve à l’or des rois mages,

Mais le vieux charpentier trouve en Joseph l’image

De sa propre misère et son propre bonheur.

 

Qu’il est beau de les voir en face du mystère !

Ils ne ressentent plus le fardeau de la terre

Devant cette splendeur de l’Amour incarné !

Ils savent que la Croix remplacera la Crèche,

Que la douleur viendra les broyer sur la brèche :

Ils n’en chantent que mieux le don du Nouveau-né !

 

 

                                      II

 

Vierge de Bethléem, ô Mère de la Grâce,

Accueillez les aveux de cette populace

Qui vient rompre avec Vous le pain de pauvreté ;

Elle n’a que sa foi, son labeur, sa chaumière,

Mais votre amour la couvre ainsi qu’une lumière

Dans son suprême effort de bonne volonté.

 

Vous savez que les loups guettent la bergerie

Et que sans votre Étoile, ô suave Marie,

Les ombres de l’enfer envahiront nos murs :

Protégez nos enfants, nos foyers, nos églises,

Et gardez-nous du sort des viles convoitises,

Agenouillés au sol mais regardant l’azur.

 

Vierge de Bethléem, ô Source de l’Extase,

Vous savez que la chair comme un fétu s’embrase,

Que l’innocence roule au limon des ruisseaux :

Inspirez à la femme enceinte le courage

De porter saintement le fruit du mariage

Et de combler le vide immense des berceaux.

 

Vous savez que la bouche est sujette au blasphème,

Qu’elle répand l’insulte et pousse l’anathème

Jusqu’à maudire, hélas ! les vases de l’autel :

Ô donnez cette nuit aux lèvres hérétiques

De contracter le goût des célestes cantiques

Que la terre perçoit comme un gage immortel.

 

Vierge de Bethléem, ô Miroir de Tendresse,

Je ressens dans mon âme une vive allégresse

À cette heure où Jésus vient de naître pour nous !

Si j’ai connu l’amer baiser de la souffrance,

Avec Noël je chante enfin ma délivrance

Et pour vous remercier je tombe à deux genoux !

 

 

 

Charles-E. HARPE.

 

Paru dans le numéro de

novembre-décembre 1948

de la revue Marie.

 

 

 

 

 

 

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