Notre-Dame des Poètes

 

 

                                                                        à Roger Brien

 

 

                                    I

 

Si dans le flot d’azur que le nuage fraude

Se glissent quelquefois des jours ternes et gris,

Lorsque l’âme courtise un printemps en maraude ;

 

Si l’orage s’abat sur la fraîcheur des lis

Et trouble des rosiers la vaporeuse extase,

Où le merle essayait l’octave de ses cris ;

 

Si le fruit du verger que le soleil embrase,

Ébranlé par les coups violents du noroît,

Tombe et roule, avant terme, en un fossé de vase ;

 

Et si la grêle passe où le sarrasin croît,

Dans l’aigrette des blés et des avoines rousses,

Mitraillant jusqu’au chaume étendu sur le toit ;

 

Si l’automne trahit les biches de la brousse

Qui courent, ventre à terre, et l’écume aux naseaux,

Quand sa bise défait leurs cachettes de mousse ;

 

Et si l’hiver est dur pour les petits moineaux

Ne pouvant plus trouver le grain de la becquée,

Ni de breuvage frais sous le gel des ruisseaux ;

 

Si la misère, auprès de l’âtre, est embusquée

Pour des mois de silence, et que l’étroit logis

Ressemble au désert vu du haut d’une mosquée,

 

Que dire du Poète aux yeux souvent rougis,

Qui porte constamment le deuil des primevères

Dans son cœur las, avec ses rêves assagis...

 

Laissez qu’il vienne à vous, ô Vierge des Trouvères !

 

 

                                    II

 

Parce qu’il est resté comme un petit enfant

Joignant les mains d’amour en face de la vie,

Malgré la solitude où le plonge son chant ;

 

Parce qu’un ciel serein le transporte d’envie,

Quand l’étoile scintille aux marbrures des eaux,

Laissez qu’il vous contemple, ô suave Marie !

 

Parce que les jardins sont comme des berceaux

De feuillage, exhalant le caprice des roses,

Malgré la guêpe en vol autour des arbrisseaux ;

 

Parce qu’il est sensible au symbole des choses,

Qu’il aime à bavarder avec le roitelet,

Laissez qu’il vous louange en ces apothéoses !

 

Et parce qu’il est doux, derrière le volet

Où le monde l’ignore, ignorant ses scandales,

Malgré ses vers mêlés aux grains du chapelet ;

 

Parce qu’il tend son cœur vers les vignes astrales,

Qu’il aime à folâtrer avec le papillon,

Laissez qu’il vous murmure un psaume de cigale !

 

Parce qu’il est plus pauvre encore que Villon,

Qu’il vit à la lueur d’une rustique flamme,

À l’ombre des sapins veillant sur le sillon ;

 

Parce qu’il vous honore à la façon de Jammes,

Vous offrant tout le prix de son ingrat labeur,

À vous laissez venir le barde, ô Notre-Dame !...

 

Qu’il chante à vos genoux sa peine et son bonheur !

 

 

 

Charles-E. HARPE.

 

Paru dans la revue Marie en 1948.

 

 

 

 

 

 

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