Votre lettre, Madame, est arrivée trop tard

 

 

Votre lettre, Madame, est arrivée trop tard,

Car le Ciel avait exigé son dû.

Ah, quel soudain changement ! Des barreaux de la prison

Jusqu’au Grand Trône blanc !

Et pourtant, je crois qu’il aurait continué

À vivre et l’aurait dédaigné,

S’il avait pu lire les mots insouciants

Que vous avez envoyés en vain.

 

C’est avec une telle patience qu’il a attendu,

Durant tant d’heures épuisantes,

Que sur sa simple foi de soldat

Même la mort n’avait aucune prise.

Et vous – d’autres murmuraient-ils tout bas

Leurs hommages à votre oreille,

Comme si dans leur foule ténébreuse

Son esprit pouvait avoir un pair.

 

J’aimerais que vous fussiez maintenant à mes côtés,

Pour soulever le linceul,

Et voir la pureté qui était sienne

À l’instant où il mourut.

La peine que vous lui avez causée,

Avait laissé sa marque,

Comme l’ombre de la croix

Sur son visage blême.

 

« Son amour », disait-il, « pourrait pour moi

Changer le froid de l’hiver en printemps. »

Ah, qu’il est chose amère

De croire en l’amour inconstant des jeunes filles !

Car lorsque, en mai, dans ces claires vallées,

Les fleurs onduleront de nouveau,

Les violettes du nord s’épanouiront

Sur sa modeste tombe.

 

L’absence de quelques mots de vous ne fut

Qu’un autre serrement de cœur à endurer,

Pour lui qui embrassa jusqu’au bout

Votre mèche de cheveux dorés.

Je ne l’ai pas placée là où il me l’avait demandé,

Car lorsque les anges viendront,

Je ne voudrais pas qu’ils trouvent ce symbole

De tromperie dans sa tombe.

 

J’ai vu votre lettre et connais

Les artifices qui furent les vôtres

Pour gagner son noble cœur,

Ce que vous avez réussi – cruelle pensée !

Quels somptueux trésors les hommes offrent-ils parfois

Pour ce qui n’en vaut pas la peine :

Que de cœurs d’hommes battent pour elles,

Prisonniers de la plus mensongère des servitudes.

 

Ne le plaignez pas, car désormais

Son calvaire s’est achevé,

Mais j’aimerais pourtant que vous fussiez à mes côtés

Auprès de mon défunt ami.

Et je vous pardonne de sa part

Car – si cela était possible –

Il plaiderait sans doute en votre faveur

Devant le tribunal du ciel.

 

Ce soir, le vent froid siffle alentour,

Tandis que je veille

À la morgue de la prison,

Où peu d’amis endeuillés viennent pleurer.

Un grossier cercueil de planches enserre son corps,

Mais la mort anoblit son visage

Et j’aime mieux le voir ainsi

Qu’étreint par vos bras.

 

Ce soir, votre demeure brille peut-être de mille feux

Et résonne de joyeuses chansons,

Et vous souriez comme si votre âme

N’avait point commis de péché mortel.

Votre main est si belle que personne n’imaginerait

Qu’elle a écrit ces mots douloureux ;

Votre peau est si blanche – plût à Dieu que votre cœur

Eût été ne serait-ce qu’à moitié aussi immaculé.

 

J’aimerais mieux être mon défunt camarade,

Plutôt que vous, dans l’au-delà :

À vous le réveil inquiet du pécheur,

Et à lui le rêve du martyr.

Celui que nous servons durant cette vie, nous servirons

Dans celle qui adviendra plus tard :

Il a choisi sa voie et vous la vôtre ;

À Dieu de juger.

 

 

 

William Stewart HAWKINS.

 

Recueilli dans La poésie sudiste au temps de la guerre de Sécession,

florilège traduit de l’anglais et présenté par

Christophe DOLBEAU, Éditions Akribeia, 2021.

 

 

 

 

 

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