Le Nouvel An

 

 

Le matin ne vient pas... jusqu’à ce qu’il s’éveille,

Je pourrai donc un peu flâner... c’est à merveille ;

Pas de farce là-haut, nuage mon ami,

Car La lune déjà n’est claire qu’à demi...

 

Point de fleurs... mais partout du givre à larges franges,

Avec du foin au seuil des caves et des granges...

Mon cousin seul a pu se moquer d’eux ainsi,

Puis il se sera mis à courir, tout transi...

 

Il faudra pourtant bien que ça change de mine ;

Je mettrai, moi, des fleurs à superbe étamine

Dans ces jardins... et puis, sur ces arbres jumeaux,

Des fleurs encor... des fleurs jusqu’au bout des rameaux.

 

Rien ne bouge... tout dort. Tiens voilà, bon augure...

Un moineau... le pauvret fait bien triste figure ;

Je gage qu’il avait une tendre moitié,

Dont ces grands froids l’auront séparé sans pitié.

 

Et le voilà tout morne, à présent ; plus de femme,

Plus de pain, plus de gîte, et, quand le froid l’affame,

Personne pour lui faire un peu de soupe enfin...

Pauvre petit, c’est moi qui calmerai ta faim.

 

Rien ne bouge... tout dort. Quelle superbe église...

Leur clocher avec ceux des villes rivalise...

Six heures au cadran... le matin va venir ;

Ah ! tant mieux, car je gèle et n’y puis plus tenir...

 

Les morts n’y sentent rien, eux ; quelle vie étrange

Ils ont ; toujours dormir sans que rien les dérange...

La mort guérit de tout ; mais comptons avec soin

Ces places vides, car nous en aurons besoin.

 

Un orphelin pourrait trouver là sont affaire...

Là, deux vieillards, avec un peu de savoir-faire,

S’étendront aisément... Oh ! quelle bonne nuit

Passeront là tous ceux que ronge quelque ennui...

 

Une lumière... et deux, et trois... l’on se réveille...

Toutes ces portes vont s’ouvrir comme la veille ;

– Bonjour, mes braves gens ; me voici, pas d’effroi...

C’est moi ; depuis minuit je suis là... qu’il fait froid !

 

Mon cousin est parti sans vous faire de signe ;

Si j’avais cependant oublié ma consigne,

Quels dangers vous couriez ! voyons, foin du railleur ;

Suis-je beau ? tout cela sort de chez 1e tailleur...

 

Veste de fin velours, beau gilet écarlate ;

Pantalons à grand poil... (on dit que cela flatte...)

Montre à cordon traînant, chapeau tout neuf, cheveux

Crêpés... vraiment je suis au comble de mes vœux...

 

Tiens, clans mon havresac, j’en sens un qui regarde :

Tu voudrais bien savoir quels beaux secrets j’y garde...

Ils seront assez tôt devant vous étalés...

Les roses n’y sont pas sans épines, allez.

 

Vous verrez que ma balle est pas mal variée ;

Maillots d’enfants, anneau pour une mariée,

Rubans, couronnes, clefs de cimetière... Eh ! oui,

Peut-être pour plus d’un qui s’en moque aujourd’hui.

 

Que Dieu nous donne à tous une âme sans reproche,

Et calme, quand la joie ou la douleur approche...

Pour les fripons, je n’ai point de mot consolant,

Et n’en trouverais point, même en le bien voulant.

 

Maintenant, babillez les enfants pour la messe,

En vous rappelant bien tout, menace et promesse...

Allons, voici le jour, et le soleil riant

Semble nous saluer du fond de l’Orient.

 

 

 

Jean-Pierre HEBEL.

 

Traduit de l’allemand par Max Buchon.

 

 

 

 

 

 

 

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