Souvenirs voilés

 

 

 

                                          I

 

Dans ce petit salon, d’un ovale charmant,

Elle y vient toujours seule, avec son rêve sombre

Quand la flamme s’éteint dans le foyer fumant,

Quand sur l’astre au couchant s’étend une grande ombre.

 

Les meubles sont légers, d’une claire couleur,

Dans les tons nuancés des blondes tourterelles ;

Le fond est parsemé de quelque large fleur

De quelque palme bleue et quelques boutons frêles.

 

De tableaux, de dessins tous les murs sont ornés

Pour qu’avec agrément le regard s’y repose.

Sur ses pieds, en un arc gracieux retournés,

S’élance un élégant bureau de bois de rose.

 

Ici le piano noir au clavier ivoirin

Et là, sur la coquette et blanche cheminée

Sur leur socle en velours, coupes en marbre fin,

Un cadran, mesurant courte ou longue journée.

 

La vaste fenêtre a son balcon dentelé

D’où l’on voit la mer bleue embrasser l’azur tendre,

Le soleil au couchant ; le grand ciel étoilé

Comme un voile brillant au-dessus vient s’étendre.

 

Et tout dans cet espace a son parfum d’amour,

Parfum suave et sain ; là, les deux sœurs aînées

Avec leurs fiancés venaient, jour après jour,

Réveiller leur passé, rêver leurs destinées.

 

 

                                         II

 

Le blanc clavier alors résonnait de doux airs

Et la mer des tableaux frissonnait, caressante ;

Le cadran annonçait en sons vibrants et clairs

Chaque heure de bonheur à l’âme frémissante.

 

La glace en son cristal brillant ne reflétait

Que des fronts radieux et conservait l’image

De l’amant attendri, pour celle qui restait,

Et qui, se regardant, voyait la chère image.

 

Pensive, s’accoudant sur le bureau discret,

Avec le cher absent causait la fiancée.

Et la plume volait, déroulant son secret,

D’une grâce naïve ornant chaque pensée.

 

Le bouquet entouré du satin aux doux plis

Étincelait, semé d’une poudre brillante,

De messages d’amour les calices remplis

Les murmuraient, berçant et parfumant l’attente,

 

Et l’absent revenait, alors tout frémissait

Comme le cœur ému de cette jeune fille ;

Dans la glace un riant visage rougissait,

Ainsi que toute fleur sous le soleil qui brille.

 

L’aérien balcon, sous son dôme d’azur,

Offrait son frêle appui à leurs mains enlacées

Le zéphir les baisait du souffle le plus pur

Ranimant doucement leurs âmes oppressées.

 

Voici ! tout cela fut ! maintenant tout est mort !

Avec la sœur aînée, ô la sœur si chérie !

L’appui de la plus jeune... et depuis qu’elle dort,

Le jour naît pour mourir, comme une fleur flétrie !

 

 

                                        III

 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Dans le petit salon, d’un ovale charmant,

Elle y vient toujours seule avec son rêve sombre,

Quand la flamme s’éteint dans le foyer fumant,

Quand sur l’astre au couchant s’étend une grande ombre !

 

Si parfois le clavier résonne sous ses doigts,

Ce n’est que pour gémir, en des accords funèbres,

Accords qu’elle accompagne avec sa triste voix,

Quand la vie et le jour glissent sous les ténèbres.

 

Et terne est maintenant la glace de cristal,

Muets cadrans, tableaux, bureau de bois de rose,

Tout s’endort dans un deuil, un deuil sombre et fatal,

Éternel comme la souffrance qui le cause.

 

Plus de joyeux bouquets à la vive couleur

Mais un subtil parfum, âme de violette,

Vient adoucir cet air amer de la douleur

Et semble distillé d’une larme secrète !...

 

Tout, en deuil ? non, le ciel sur le balcon léger

S’étend brillant et pur durant la nuit sereine.

Et la pauvre âme y vient profondément songer

Vers le Divin amour, laissant monter sa peine.

 

 

                                        IV

 

Pareil au doux frisson qui court sur les tombeaux,

Quand le premier beau jour du printemps vient éclore,

Un frisson tressaillit du clavier aux tableaux.....

L’étincelle au foyer mourant jaillit encore !...

 

Tout répond vaguement à ce chant douloureux,

Insensibles, sous leur crêpe noir endormies,

Des lyres qui vibraient en des jours bienheureux

Accompagnent ce chant de lentes voix amies.

 

Fendant l’éther profond comme un bruissement d’aile,

Quand tout dort en la paix du calme solennel

Il s’exhale, ce chant au pauvre cœur fidèle,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C’est le parfum caché de son deuil éternel.

 

 

 

Mlle E. HOUARD, Une âme,

poésies posthumes : dernières pensées, 1891.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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