Stances

 

 

                                   I

 

Ainsi que par les jours de tempête et de brume

Tu nargues – albatros – l’ire de l’océan

Dont le flot – labouré par les coutres du vent –

Cherche à te flageller avec son fouet d’écume :

 

Ainsi cette autre amer – la Foule – et sa rumeur,

Soulève autour de toi ses lames... Que t’importe !

Fais ton œuvre, Poète, et – verrouillant ta porte –

N’écoute que le Dieu qui chante dans ton cœur.

 

 

                                   II

 

Tel ce peintre inconnu d’une époque lointaine

Qui, sur ce vase étrusque au galbe carminé,

Sût unir avec art, d’un pinceau fortuné,

Le laurier d’Italie à la rose d’Athène :

 

Ainsi, te libérant par d’habiles détours

Des vulgaires travaux et des soins mercantiles,

Sache orner ton esprit de roses inutiles

Qui seront le vrai luxe et l’orgueil de tes jours.

 

 

                                   III

 

De même qu’un vaisseau sur une mer mauvaise,

Dans la brume égaré, sans pilote à son bord,

Cherche – pour s’abriter dans le calme du port –

L’étincelle d’un phare au front d’une falaise :

 

Poète, ainsi jeté parmi les flots humains,

Les yeux obstinément tournés vers la Lumière

– Pour atteindre à ton tour la rade hospitalière –

Que le Beau soit ton Phare éclairant tes chemins.

 

 

                                   IV

 

Tels, au flanc d’un coteau, ces Pins, dont les racines,

Les enchaînant au sol qui les a vu grandir,

Y puisent chaque jour, sans jamais le tarir,

Les ferments nourriciers qui gonflent leurs poitrines :

 

À ton terroir, Poète, enraciné comme eux

Par la chaîne des morts qui forment la patrie,

Du suc de leurs pensers ta Lyre ainsi nourrie

Vibrera plus ardente au souffle ailé des Dieux.

 

 

                                   V

 

Ainsi que ces pommiers au déclin de l’hiver

Qu’une neige odorante a fleuri de pétales,

Mais dont les fruits, un jour, sur les branches natales,

Subiront en secret la morsure du ver :

 

Ainsi le cœur de l’homme en sa prime jeunesse

– Riche de fruits futurs – est un arbre d’avril ;

Mais le mal bien souvent, pareil au ver subtil,

Y dépose en secret quelque larve traîtresse.

 

 

                                   VI

 

Comme ces vieux barons aux lourdes silhouettes

Qui, juchés sur leurs pics en des castels princiers,

Châtiant les félons – farouches justiciers –

Leur donnaient pour tombeau la nuit des oubliettes :

 

Imitant leur exemple, au gouffre de ton cœur,

Clos tes vieux Préjugés avec tes vieilles haines ;

Et le front haut tendu vers des clartés humaines,

Tâche de t’élever pour devenir meilleur.

 

 

 

Pierre JALABERT.

 

Paru dans La Muse française en 1924.

 

 

 

 

 

 

 

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