J’entendis un matin...

 

 

J’entendis un matin, au milieu de l’Hiver,

Le bruit que fait l’insecte en Août sous les couverts.

 

C’était la noce et les thèmes stridents du fifre

Que le ménétrier note à note déchiffre.

 

L’air, à présent, semblait balbutier des mots

Ou copier la cigale au cœur des noirs ormeaux.

 

Jamais la fiancée n’avait été si belle :

Son voile éblouissait comme une pluie de grêle.

 

Elle donnait le bras au maître et s’avançait :

Telle une barque en fête arbore des bouquets.

 

Le fiancé suivait. La joie sur sa figure

Brillait comme une fleur à la neuve verdure.

 

La montagne dressait, ainsi que fait la mer,

Des flots bleus aux sommets de neige recouverts.

 

Des enfants qui semblaient former un groupe d’anges

Faisaient rouler devant l’église des oranges.

 

Frères des papillons, se posèrent leurs yeux

Sur un si beau cortège. Ils laissèrent leur jeu.

 

Ces ruches en rumeur, les cloches catholiques,

Aux cigales du fifre envoyaient la réplique.

 

Tous étaient maintenant dans l’éternel vaisseau

Dont la voile à son mât est un Christ en lambeaux.

 

Ce vaisseau emportait vers la béatitude

Ces passagers en qui vivait la Certitude.

 

Les époux se tenaient inclinés de l’avant,

Saisis par le frisson d’un mystérieux vent.

 

Prés d’eux, habituée à la tâche qui prie,

L’aïeule offrait à Dieu l’humble lin de sa vie.

 

Le gouvernail dans ses doigts joints, tendant au ciel,

À l’arrière, je vis le pauvre de Noël.

 

Venez, Seigneur, venez bénir les épousailles

De ceux que Vous aimez, qui dans l’ombre travaillent.

 

Venez, Seigneur. Pour eux descendez ici-bas.

Car Vous Vous abaissez où l’homme n’atteint pas.

 

Un roi ne bouge point quand un prince l’appelle ;

Mais Vous, il Vous suffit qu’un mendiant Vous hèle ;

 

Vous arrivez sans gloire ainsi qu’un laboureur,

Et Vos pieds sont blessés. Vos mains et Votre cœur.

 

Mais Vous n’avez pour nous qu’un sourire ineffable ;

Rabboni ! Vous Vous asseyez à notre table.

 

Venez, Seigneur. Ouvrez les urnes de l’amour

Sur ces fronts couronnés du hâle des labours.

 

Considérez ces gens qui pétrirent la terre

Que Vous avez créée, Vous, l’Esprit et le Père.

 

Ils en ont fait sortir toutes sortes de fruits,

Leur foi n’a point douté du Ciel qui les produit.

 

Venez, Seigneur. Voici : dans cette pauvre argile,

Des hommes germeront, fils de votre Évangile.

 

 

Francis JAMMES,

Les Géorgiques chrétiennes, chant III.

 

Paru dans Toutes les lyres,

anthologie critique des poètes

contemporains, 1911.

 

 

 

 

 

 

 

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