La vieille fille

 

 

Pauvre fille, toujours ici-bas oubliée,

Toi dont la vie était une lente douleur,

Dont l’âme méconnue en soi s’est repliée,

Amèrement blessée au toucher du malheur ;

 

Toi, qui viens de mourir aussi chaste qu’un ange,

Et dont le front blanchi dort sous le blanc linceul,

Toi que nul n’a choisie, et dont la fleur d’orange

N’a, de son pâle éclat, paré que le cercueil ;

 

Console-toi, ma sœur, de ce triste hyménée !

De ces vierges qui vont chantant l’hymne de mort,

Fières de leur jeunesse et de leur destinée,

Plus d’une, après l’épreuve, aurait choisi ton sort.

 

Ton âme vers la paix s’est enfin élancée ;

Tu pars riche de pleurs, tous ont été comptés ;

Car du livre éternel la joie est effacée,

Et seuls, en lettres d’or, les chagrins sont restés.

 

Ah ! qui sait les ennuis, les désespoirs sans nombre,

Les résignations qu’un cœur pauvre nourrit ;

Pauvre de tous les biens, et qui s’éteint dans l’ombre,

D’un mal dont sans pitié chacun s’éloigne et rit !

 

La laideur chez la femme est maudite et flétrie ;

De la grâce et du beau nous sommes amoureux :

C’est comme un souvenir de la noble patrie,

Qui vient frapper nos sens et parler à nos yeux.

 

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Elle vit, en naissant, commencer sa misère ;

Triste, elle grandissait parmi ses jeunes sœurs ;

Car elle devinait, en embrassant sa mère,

Une pitié plaintive en ses yeux tout en pleurs.

 

Elle n’eut point d’enfance, et, venue à cet âge

Où la beauté reluit dans toute sa splendeur,

Chacun se détourna de son pâle visage,

Sans chercher plus avant ce que gardait son cœur,

 

Son cœur cachant à tous sa richesse inutile,

Ses secrets battements comprimés sous sa main,

Mystérieux parfum enfermé dans l’argile,

Beau trésor inconnu, qu’on foulait en chemin ;

 

Ne murmurant jamais, tant son âme était haute,

N’ayant que Dieu pour juge en ses muets combats,

Et voilant son malheur comme on voile une faute,

Souffrant de ces douleurs qui ne se plaignent pas ;

 

Vivant dans ses longs jours isolée et sans guide,

Et voyant chacun d’eux, fatalement pareil,

Sans espoir, sans bonheur, triste, uniforme, vide

Comme un morne horizon sans pluie et sans soleil.

 

Et quand le poids des ans eut incliné sa tête,

Son cœur, tant éprouvé par un destin jaloux,

Se vengea noblement de sa part incomplète ;

Elle agrandit sa vie en la donnant à tous.

 

Saintement résignée à marcher solitaire,

Sans époux, sans enfants, sans lien, sans amours

De tous les affligés elle devint la mère ;

Doux nom qu’avaient souvent rêvé ses mauvais jours !

 

Gloire, gloire à celui qui garde dans son âme

La foi, divin trésor d’intarissable miel !

Toi qui n’as partagé que les maux de la femme,

Vierge en cheveux blancs, va confiante au ciel !

 

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Les dévouements obscurs sont les plus magnifiques ;

Dans l’ombre et le silence ils restent confondus :

C’est la voix du désert chantant les saints cantiques,

Qui montent jusqu’à Dieu, de lui seul entendus.

 

Ils veulent un cœur fort, un assidu courage :

Celui qui les pratique entre tous est béni ;

Il amasse en secret un sublime héritage,

Et sème dans son champ un mérite infini.

 

La vertu glorieuse a le regard des hommes,

L’autre a celui du Dieu juste et mystérieux.

La première a sa fin dans le monde où nous sommes,

L’autre naît sur la terre et ne fleurit qu’aux cieux.

 

 

Mme JANVIER.

 

Recueilli dans Femmes-poètes de la France,

anthologie par H. Blanvalet, 1856.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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