Fleurs des Alpes

 

                        (INÉDIT)

 

 

Vous me réclamez des nouvelles,

À moi qui vis loin de Paris !

C’est demander des étincelles

Au choc de nos glaciers surpris :

Que savons-nous dans nos vallées,

Dans nos bourgades isolées

Où le roc pend le chemin ?

Le jour plus lentement commence,

Et la nuit, qui passe en silence,

Ne change rien au lendemain.

 

Je me trompe ; je vais vous dire

Les grands évènements d’un jour :

Le printemps va bientôt sourire,

Une hirondelle est de retour ;

Ou bien c’est l’hiver qui s’approche,

Les corbeaux ont quitté leur roche

Pour noircir les flancs du coteau,

Et flairant l’odeur qui le flatte

Le loup, ce terrible autocrate,

A mangé le chien du château.

 

L’ours a paru sur la montagne

Aux yeux d’un passant étonné,

Le grand aigle a dans la campagne

Enlevé l’agneau nouveau-né.

Près du roc mousseux qu’il dessine,

Un étranger sur la colline

A jeté quelques mots d’amour

À la bergère, qui, coquette,

En fuyant a tourné la tête

À l’endroit du premier contour.

 

À minuit près de ces décombres

Où fut autrefois un couvent,

On voit sortir du sein des ombres

Le fantôme d’un moine blanc.

Sur le rosier de la chapelle

Vient de naître une fleur si belle

Qu’on la croirait éclose au ciel,

Et la madone qu’on implore

Quand l’aube du jour la colore

Semble descendre de l’autel.

 

Eh ! bien, sont-ce là des merveilles

À redire au sein des cités ?

Il faut pour distraire leurs veilles

Des récits plus accidentés ;

Il faut à vos esprits avides

Des duels et des suicides,

Du bruit, du scandale à tout prix,

Et jouant avec les couronnes

Il vous faut la chute des trônes...

Sauf à pleurer sur leurs débris.

 

Adieu ; ma main, lasse d’écrire,

A quelques roses à cueillir.

L’ombre descend, le jour expire,

La terre va se recueillir ;

Seul au milieu de ce silence

Tout bas le rossignol commence

Son chant, écho lointain des cieux ;

Ma couche doucement m’invite,

Et le sommeil qui me visite

Pose son aile sur mes yeux.

 

 

 

Auguste de JUGE.

 

Recueilli dans Le Parnasse contemporain savoyard,

publié par Charles Buet, 1889.

 

 

 

 

 

 

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