À ma mère

 

 

Maintenant elle est vieille, et, quand je la regarde,

Un mal sans nom remplit tout mon être de deuil ;

Je reste là, pensif, sans que je me hasarde

À lui jeter, durant des heures, un coup d’œil.

 

Et je songe, évoquant dans mon âme hagarde

Le temps où, sans jamais rencontrer nul écueil,

Mes yeux contempleront ce ciel que Dieu nous garde,

Dont ce ciel qui nous rit est l’ineffable accueil !

 

Mais en vain, pour calmer ma plaie inguérissable,

J’entrevois, dans sa paix, le jour impérissable ;

Tout à coup, je la sens jusqu’au fond se rouvrir :

 

Car, dans le ciel, le doux visage de ma mère

Me regarde et me dit, d’une voix lente, amère :

« Ta pauvre mère est vieille et va bientôt mourir !... »

 

 

 

Arthur JUILLARD.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1894.

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net