Complainte des sept douleurs

 

 

Dans un arpège de soleil

Liez la rose et la glycine

Et sous mes boucles enfantines

Peignez l’émoi le plus vermeil,

 

Mettez le plus courtois des anges

Et la musique de son pas

Attentive à n’effrayer pas

La jeune fille au trouble étrange ;

 

Placez le Livre dans ma main,

Déroulé comme une herbe d’ombre,

Où de nos heures les plus sombres

S’illuminent les lendemains...

 

L’accord fut beau comme un silence

Et l’étoile qui l’entendit

Tira de long au paradis.

Ma jeune chair enclôt l’Immense.

 

Ô femmes j’en appelle à vous

Fut-il annonce plus amère :

La vision pour une mère

De son enfant livré aux loups.

 

Avec le Fils de l’Anathème

Avec la Fleur qu’on dévasta

De Bethléem au Golgotha

J’ai traversé l’affreux baptême.

 

 

 

Pitié pour la sœur des oiseaux

Qui vont pour Lui mourir au temple

Où des promesses sans exemple

M’apportent leur glaive et leur faux.

 

 

 

Au pays des peurs et des fables

Le vent d’exil nous a conduits,

Ma foi s’épure dans la nuit

Et je me sens la sœur des sables :

 

Pour qu’ils soient doux à mes pieds nus

La mer les broya sous ses lames ;

Vous pourrez cheminer mon âme

Elle est douce aux pas revenus.

 

 

 

Le réseau de ma vigilance

Tout à coup s’affole et se rompt.

Confuse et dévorant l’affront

J’ai regardé fuir cette enfance.

 

– Vous n’êtes pas mon paradis,

Près du Père j’ai ma demeure.

Pour la tendresse il est une heure

Qui s’efface où l’enfant grandit.

 

De ces rivages repoussée

Où fleurira son haut destin

Mes flots battront dans le lointain

L’abîme sourd de ma pensée.

 

Bras maternels, ô purs liens

Que ces trois jours désassemblèrent

Étreignez d’un songe éphémère

L’enfant Jésus des jours anciens.

 

Ici commence mon supplice

Je suis experte en la douleur.

Enfant lourd, enfant de mes pleurs

Tu m’as fait boire à ton calice.

 

 

 

Il est sans moi dans le désert

Il va sans moi cueillant les âmes

Sans moi quand les enfants l’acclament

Et quand se déchaînait l’Enfer.

 

D’un mot s’abolit ma présence :

– Est ma mère qui suit ma loi. –

Ô mon fils êtes-vous à moi ?

Je souffrais moins de vos silences.

 

 

 

J’ai vu monter l’arbre interdit

Où fut cueilli le goût des cendres,

Et le Fruit qu’on y va suspendre

Pour l’automne du Vendredi.

 

N’est-elle pas la sœur de l’arbre

La sève neuve et le greffon

La vieille mère qui se fond

Parmi la foule au cœur de marbre ?

 

Ô long troupeau désemparé

Cherchant la source et l’arbre et l’ombre

Ô mains faiseuses de décombres

Jérusalem, vous en mourrez !

 

– Pour vos enfants gardez vos larmes –

Mais que ferai-je doux Jésus

Si mes angoisses n’en ont plus,

Si mon cœur tout bas rend les armes ?

 

– L’eau des yeux n’a plus de pouvoir

Ni l’eau sur les mains de Pilate

Mais l’affreuse fleur écarlate

De notre sang sous le pressoir.

 

Il faut pour la grande tourmente

Écorcher le bois le plus vert,

Que notre cœur soit grand’ ouvert

Et que l’homme amer nous charpente.

 

 

 

Croix debout, solide couture,

Ténèbre hostile, absinthe, fiel,

Mon fils a noué terre et ciel,

Tendu jusqu’à la déchirure.

 

Je suis debout sans défaillir

Agnelle prise aux ronceraies,

Puisant aux perles de ses plaies

L’élan terrible d’accomplir.

 

Mais là n’est pas tout mon calvaire.

Cherchez, si le cœur ne vous fend,

Le choc d’un plus dur diamant...

Mon fils prend congé de sa mère.

 

Il mourra comme un orphelin,

Après l’épouvantable échange.

Que reste-t-il de la vendange,

Ô Dieu, le calice est-il plein ?

 

 

 

Du moins j’aurai ses lèvres mortes

Ses yeux clos, ses membres cassés.

Sur les genoux qui l’ont bercé

Contemplez l’enfant que je porte !

 

Il abandonne entre mes bras

Son corps avare de caresse.

Ô cheveux de la pécheresse

Ô le seul flot qui l’effleura !

 

Depuis les pieds jusqu’aux épines

Ils ont brisé ma grande fleur.

Où sont votre teint, vos couleurs,

Mon lin bleu, mon lis des collines ?

 

Du moins demeure un peu de temps

Pour une dernière berceuse,

Pour une tendresse en veilleuse...

Dans son manteau la nuit nous prend.

 

 

 

Nuit trop claire, nuit mal complice

Je requiers en vain ton secours.

Voici des pas, Joseph accourt

Et j’acquiesce au dernier supplice.

 

Lui que ma chair enveloppa

Repose aux plis froids d’un suaire.

À genoux sur le seuil de pierre

J’ai dit mon dernier oui tout bas.

 

L’accord fut beau comme un silence

Et l’étoile qui l’entendit

Tira de long au paradis.

... Naissez, les fils de ma souffrance !

 

 

 

Henry de JULLIOT.

 

Recueilli dans Notre-Dame des poètes,

anthologie réunie et présentée par Joseph Barbier

(Robert Morel éditeur, 1966).

 

 

 

 

 

 

 

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