Souffrance des choses

 

 

À l’heure où, flagellé par l’anathème humain,

Jésus sentit faiblir son âme agonisante,

Tu dus sans doute aussi souffrir, ô croix pesante,

De rendre encor plus rude un si rude chemin ?

 

Ne regrettais-tu pas, ô croix sainte et bénie,

Quand le Christ succombait, brisé par tant de maux,

De ne plus être l’arbre aux graciles rameaux

Où les zéphyrs disaient leurs chants pleins d’harmonie ?

 

Tandis que les bourreaux raillaient l’Homme divin

Et ne soupçonnaient pas sa blessure immortelle,

Hélas ! peut-être aussi ta sève coulait-elle

Comme un sang douloureux qu’il faut verser en vain ?

 

Et son pardon passa sur la fonte impunie

Qui crachait le mépris sur son front abattu !

Alors, muette croix, peut-être compris-tu

Sa navrante faiblesse et sa force infinie ?

 

L’aube d’un jour mauvais tristement avait lui

Pour celui qu’accablait une angoisse sévère ;

Et quand, à l’horizon, se dressa le calvaire,

Tu le gravis aussi, pas à pas avec lui !

 

Il te fallut sans cesse augmenter sa torture,

Impassible instrument de la plus grande horreur !

Et tu servis trop bien l’ironique fureur

Des humains enivrés par leur lâche imposture.

 

Et les clous pénétrant dans la chair du martyr

Avivèrent encor ta souffrance ignorée.

Tu devinais l’affront sur sa face éplorée ;

Mais un manteau de gloire alors vint le vêtir !

 

Nulle de ses douleurs ne te fut épargnée. –

Pour terminer enfin le supplice maudit,

Lorsque la mort paisible à ses yeux resplendit,

De larmes et de sang tu te trouvas baignée...

 

Et le peuple s’enfuit au loin, sombre et hagard.

Puis un râle monta dans la noire épouvante ! –

– Après avoir porté la dépouille vivante,

Quel poids fut ce cadavre au sublime regard ! –

 

                                            *

                                        *      *

 

– Pourquoi, dans la forêt, parmi les jeunes chênes,

Vint-on, la haine au cœur, t’abattre brusquement ?...

Tu servais de refuge à quelque couple aimant

D’oiselets qui chantaient les aurores prochaines.

 

Tant de chagrins secrets flottent dans l’Univers !

Les choses ont peut-être une âme qu’on tourmente ?

En leur faisant subir une tâche alarmante,

Quel frisson de pitié parcourt les arbres verts ?

 

Aussi, lorsque l’on voit les branches agitées

Ébaucher des appels vers l’azur, tristement,

On croit parfois saisir, dans leur gémissement,

La confuse clameur des choses révoltées !

 

 

 

André JURÉNIL.

 

Paru dans La Sylphide en 1897.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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