Le réveil du grand fleuve

 

 

                                             I

 

Le grand fleuve a frémi sous son manteau de glace

Car avril, précurseur des beaux jours, apparaît.

De la corneille on voit l’aile noire en l’espace,

Et le clair renouveau chante dans la forêt.

 

Le Saint-Laurent s’éveille, il a brisé ses chaînes.

Las de ces mois sans vie où la nature dort,

Il voit poindre déjà les flottilles prochaines,

Et déjà les couchants teignent sa vague d’or.

 

Il baigne de nouveau le sable des rivages,

Il assaille les caps, ébranle les récifs :

Il lave de ses eaux la voile des nuages,

Et soumet à sa loi tous les marins pensifs.

 

Sa force nous attire et son charme nous lie.

Il hante nos foyers, même lorsqu’ils sont clos.

Son image est en nous, et jamais l’on n’oublie

Cette étoile du soir qui nage dans ses flots.

 

 

                                            II

 

Larguez les ris, larguez l’écoute !

Le grand fleuve sort du sommeil,

Et le monde surpris écoute

Son cri de ferveur au soleil.

 

Il va disperser sur la grève

Son chant sans cesse répété :

Il ouvre la route du rêve

Au cœur toujours illimité.

 

Au large, le vol des mouettes

Met sa neige dans le ciel pur.

Et tous les désirs des poètes

S’en vont se noyer dans l’azur.

 

Larguez les ris, larguez l’écoute !

Les vaisseaux appareilleront,

Et sous la radieuse voûte

Les gais matelots chanteront :

 

V’là l’bon vent, v’là l’joli vent,

V’là l’bon vent, ma mie m’appelle,

V’là l’bon vent, v’là l’joli vent,

V’là l’bon vent, ma mie m’attend !

 

 

                                           III

 

Fleuve dont les baisers et dont l’âpre caresse

Laissent un souvenir impérissable en nous,

Ah ! quels mots te diront jamais notre tendresse,

Et l’hymne qu’il faudrait te chanter à genoux !

 

Notre jeunesse a vu battre l’aile des voiles.

Nous grandissons les yeux ouverts sur ta beauté ;

Sous notre front tu mets la fièvre des étoiles,

Et tu remplis nos cœurs de ton immensité.

 

Grâce à toi, soulevés par tes bras redoutables,

Nous fuyons loin du sol, prenant le ciel d’assaut,

Et pour porter le poids de nos désirs instables,

Ô fleuve, tu deviens notre unique berceau.

 

Par toi nous sommes grands. Quand ton onde s’embrase

Sous le soleil qui meurt à ton horizon bleu,

Alors, ô Saint-Laurent, nous te devons l’extase,

L’extase de l’esprit qui monte jusqu’à Dieu !

 

Vers toi pointent les mâts, les beauprés, les étraves.

Vers toi vont nos pensées, orgueil de mon pays !

Reçois ici l’amour de nos âmes esclaves,

Et l’adoration de nos yeux éblouis !

 

 

 

Blanche LAMONTAGNE-BEAUREGARD.

 

Paru dans La Bonne Parole en avril 1936.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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