À la Bourgogne

 

 

Terre bénie où Dieu, dans sa bonté sereine,

A semé l’épi blond auprès du cep vermeil,

Toi qui, découronnée et pourtant toujours reine,

Vois des échelles d’or passer en ton sommeil ;

Toi qu’à travers les temps on admire et l’on aime,

Et qui, veuve jadis de tes Ducs triomphants,

Peux aujourd’hui te faire un royal diadème

         De tous les noms de tes enfants :

 

Salut à toi d’abord, ô Bourgogne ! ô patrie !

L’hiver sur tes forêts étend son blanc manteau,

Ton pampre traîne au sol sa guirlande flétrie,

La brume est à la plaine et le givre au coteau.

Cependant, tous ici, nous sentons, dans notre âme,

D’un renouveau joyeux palpiter les frissons,

Et, sous le froid soleil qui retrouve sa flamme

         Germer l’espoir d’autres moissons.

 

C’est que pour toi se lève, éclatant et sans ombres,

D’entre tant de beaux jours un jour encor plus beau :

C’est que, victorieux des crépuscules sombres,

Un grand souffle a passé rallumant ton flambeau ;

C’est qu’à sa clarté vive, en vrai fils que nous sommes,

Nous avons joie au cœur et noble orgueil au front,

Voyant déjà pousser, Mère, ces regains d’hommes,

         Dont tes lauriers reverdiront.

 

Donc, le bras au travail et l’œil à l’espérance !

Les voici, les penseurs, les doctes, les lettrés,

Ces doux et fiers rayons du cerveau de la France

Qui sur nos tristes soirs descendent azurés ;

Ils portent le drapeau des revanches altières,

Preux du combat sans trêve, esprits vaillants, grands cœurs

Dont chaque battement par delà les frontières

         Fait incliner jusqu’aux vainqueurs.

 

Par eux, la route s’ouvre aux pics où croît la palme :

Ils la montrent là-bas, bien loin, sous l’âpre nuit...

Qu’importe ? Il faut les suivre et marcher d’un pied calme ;

Si la cime est ardue où la vérité luit,

Chaque pas en avant déchire un coin du voile,

Et dans le ciel du Beau, sublime immensité,

Chacun de leurs efforts enfantant une étoile,

         Ils éclairent l’humanité.

 

Plus haut !... Jetons du lest, nulle entrave au génie !

À tout essor il faut l’ampleur des horizons ;

D’un plus libre concert va naître l’harmonie,

La fleur de l’idéal vit mal dans les prisons.

Redresse tes autels, élargis tes vieux temples,

Saisis le mâle outil et dis aux tiens : « Créons ! »

Toi qui montras, Bourgogne, en d’illustres exemples,

         Comme on emplit les Panthéons.

 

Oui, l’union, doux mot, irrésistible force !

Vois la Science armée à ta voix accourir ;

Du mystère rebelle elle a troué l’écorce...

Grave et tendre la suit Celle qui sait guérir ;

Elle s’appuie au Droit et répand l’ambroisie,

Tandis que, d’un regard irisant le chemin,

Belle comme Astarté, la blonde Poésie

         Sème la rose à pleine main.

 

N’en fut-il pas de même, alors que la Nature,

S’éveillant. vierge encore, au chant pur des oiseaux,

Dénouait pour les Dieux les plis de sa ceinture, –

Quand sur le double Mont, dans le cristal des eaux,

Les neuf sœurs reflétaient pinceau, compas ou lyre,

Et l’ombreux Hélicon des Muses visité

Ne semblerait-il point, pour peu qu’on veuille y lire,

         La première Université ?

 

La tienne, ô mon pays, est moins allégorique.

Encor qu’en Hippocrène on changeât ton Suzon

Et qu’on baptisât Pinde un coin du mont Afrique,

Les Muses n’en auraient cure, en cette saison.

Paris a des palais où loger leur mérite...

Toi, tu leur offres mieux qu’un vain marbre glacé,

Car ton large coup d’aile à jamais les abrite

         Sous les gloires de ton passé.

 

Dois-je les évoquer pour leur faire cortège,

Ces ombres dont l’éclat nous vaut mieux qu’un soleil,

Ces morts que leur nom seul contre l’oubli protège,

Ces immortels dormeurs qu’attend le grand réveil ?

Un maître en a peuplé sa toile colossale,

Et si, s’en détachant, ils allaient revenir,

Peut-être qu’on verrait les murs de cette salle

         Trop étroits à les contenir.

 

Et bien, qu’ils viennent donc, car c’est aussi leur fête,

Qu’ils viennent, sinon tous, du moins les plus fameux !

Ils nous diront comment du sol on monte au faîte,

Quel astre l’œil doit suivre en des sentiers brumeux,

Par quels vents l’âme humaine au feu divin s’allume,

Ou ce qu’il faut de cœur, ayant atteint son nid,

Pour prendre à l’aigle-roi la flamboyante plume

         Dont on écrit sur le granit.

 

Sous les éclairs nimbant la lente théorie,

Saluons, fils pieux, au seuil de leur tombeau,

Ces aïeux qui, jaloux de la mère-patrie,

Ne voulaient à son front que la splendeur du beau, –

Morveau, Monge, Buffon, lèvres par qui le monde

Sent passer la fraîcheur d’un souffle rajeuni,

Hardis plongeurs jetant la corde de leur sonde

         Aux profondeurs de l’Infini.

 

Rameau nous a charmés, son clavecin nous berce ;

Lui qui, sitôt que né, reçut l’esprit en don,

Piron, d’un arc malin, lance le trait qui perce ;

L’Art avait dit : « Prudhon », le Droit répond : « Proudhon » ;

Cette coupe de sang trahit l’auteur d’Atrée,

Pendant que les Noëls, frais enfants du terroir,

Font glisser de leurs chants la grâce incomparée

         Sur le rubis de leur miroir ;

 

Et du siècle qui meurt au siècle légendaire,

Par la voix des Docteurs ou par la voix des Saints,

Du Moine de Cîteaux à notre Lacordaire,

J’entends bien haut sonneries sublimes tocsins...

Mais, dans la ville où Rude a conquis sa statue,

Prés du puissant qui fit parler l’airain muet,

Je cherche vainement quel marbre perpétue

         La mémoire d’un Bossuet.

 

Oui, les voilà, tous ceux qu’avec fierté tu nommes,

Bourgogne, pieux culte en notre cœur ancré,

Sol au sein nourricier du raisin et des hommes,

Que génie et vertus ont par deux fois sacré !

Dijon te les fournit, Dijon, ta chère Athènes,

Et vraiment, des caps noirs à la Côte d’Azur,

Est-il, entre tes sœurs, des rivales certaines

         De fendre l’air d’un vol plus sûr ?

 

Que de sa cendre donc l’oiseau divin renaisse !

Du chaume et du manoir accourent tes élus...

Ils sont la Foi, l’Espoir, la Valeur, la Jeunesse,

De l’Océan humain long et superbe flux.

La paix à ces vaillants vaut un champ de bataille ;

Car il illustre aussi, quand il est obtenu,

Le bâton étoilé que le labeur se taille

         Dans la forêt de l’Inconnu,

 

Il fleurira sans doute en la main des plus dignes.

Qu’en leurs veines pourtant circule à flot égal

La sève de tes bois, le sang pur de tes vignes ;

De la haute culture offre-leur le régal ;

L’arbre étend ses rameaux, le fruit mûr pend aux branches,

Mêlant des grappes d’or aux fleurs du souvenir...

Ils lui devront là force, à l’heure des revanches,

         Eux qui s’appellent l’Avenir !

 

Courage aux champions que l’assaut déjà vise !

Puisse de leur phalange allant au bon combat

La pensée être l’arme et l’honneur la devise !

Puisse en leurs rangs passer l’ardeur que rien n’abat !

À venger ses douleurs la France les convie...

Debout, l’épée au flanc, le doigt prés des fourreaux,

Afin qu’un peu plus tard, au champ clos de la vie,

         Chacun fasse œuvre de héros !

 

Afin qu’un jour lointain, un jour d’apothéose,

– Comme ton vieil enfant, lycéen de jadis,

Qui, pour t’avoir ravi deux brins de laurier-rose,

Unit son hymne aux voix des Maîtres applaudis –,

Ils viennent, à leur tour, goûter, Mère chérie,

Le bonheur sans second, la suprême fierté

De mettre une couronne au front de la patrie,

         En attestant sa royauté.

 

 

 

Stéphen LIÉGEARD.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1896.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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