Le tableau de la beauté de la Mort

 

 

Il faut allègrement à la mort se résoudre

              Et ne la craindre pas ;

Si vifs nous sommes terre et morts nous sommes poudre,

              C’est peu que le trépas.

 

Si l’on pleure en naissant, en mourant l’on doit rire ;

              Car les pleurs du berceau

Enseignent que le mal de la naissance est pire

              Que celui du tombeau.

 

La mort s’enfuit de ceux qui la veulent poursuivre,

              Et l’on la voit courir

Seulement après ceux qui veulent toujours vivre

              Et jamais ne mourir.

 

Tant plus on me dira que sa flèche est cruelle

              Et son arc outrageux,

Moins je serai timide, et plus, en dépit d’elle,

              Je serai courageux.

 

Car, alors qu’on l’empêche avecque tant de peine

              D’entrer en la maison,

Elle en ouvre la porte avec des mains de laine

              Et prend en trahison.

 

Il est vrai que la faim, et la peste, et la guerre

              Sont des coups furieux,

Mais Dieu par ce moyen ne dépeuple la terre

              Que pour peupler les cieux.

 

La grandeur qui distingue une maison royale

              De celle des bouviers,

Loge la mort chez soi, qui sans choisir, égale

              Les sceptres aux leviers.

 

Le sort qui toujours gronde, ayant fait que l’orage

              Est dessus toi fondu,

Si perdant tous les biens, tu ne perds le courage,

              Tu n’auras rien perdu.

 

Rien n’arrive pourtant que Dieu ne le permette,

              Et le moindre animal

Sans le vouloir divin, quoi que le sort promette,

              Ne peut avoir de mal.

 

Le monde n’est qu’un flux et un reflux qui change

              Ce qu’on voit ici-bas ;

Que s’il était constant, ce serait chose étrange

              Si le ciel ne l’est pas.

 

Quoi qu’il puisse arriver, ferme, je me propose

              De le voir sans ennui ;

L’homme est bien inconstant ni son cœur ne repose

              Quand Dieu veille pour lui.

 

Si de te faire mal tout le monde s’efforce,

              Faut-il désespérer ?

Dieu mesure le mal et puis, selon ta force,

              Il te faut endurer.

 

Alors que de tes biens la fortune se joue

              Le ciel veut t’éprouver ;

Il ne faudra demain qu’un autre tour de roue

              Afin de t’élever.

 

Tu prendras pour objet la volonté divine

              En tes plus grands travaux ;

Soit pour vivre ou mourir, elle est la médecine

              Qui guérit tous les maux.

 

 

 

Pierre de MARBEUF.

 

Recueilli dans Anthologie religieuse des poètes français,

t. I, 1500-1650, choix, présentation et notes d’Ivan Gobry,

Le Fennec éditeur, 1994.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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