La recherche du bonheur

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

MARJOLAINE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout le monde veut être heureux. C’est le premier désir qui s’éveille dans notre cœur, c’est la première chose que nous demandons à la vie, le premier sillon que nous traçons dans le champ de l’espérance.

Nous désirons intensément la belle lumière du bonheur, son merveilleux rayonnement, son rêve délicieux, son mirage bleu. Il devient l’unique but de nos pensées, de nos actions, et nos désirs ardents ne réussissent qu’à compliquer la vie d’ambitions et d’agitations vaines qui le rendent plus lointain, plus inaccessible.

Cependant, là-bas, les jets lumineux montent plus brillants et, oubliant que :

« Le bonheur que la main n’atteint pas est un rêve »,

nous nous élançons à sa poursuite, sans regarder la petite chose toute simple qui chemine fidèlement à nos côtés, prête à nous mettre le cœur en joie, mais qu’on repousse dédaigneusement parce que cette petite chose s’appelle la réalité.

Et chacun, à son tour, recommence l’histoire de cette fillette qui jadis, au temps des fées, pleurant la monotonie de sa vie, déplorait son sort et demandait à vieillir de quelques années.

Une fée bienveillante entendit cet appel et accourut au secours de l’enfant. Elle lui remit un peloton de fil qui représentait une vie entière en lui expliquant que pour sauter des jours, des semaines ou des années, elle n’aurait qu’à dévider le fil ; mais de ne pas oublier que les années vécues ne reviendraient plus. Voilà la petite fille heureuse de son pouvoir qui s’empare du peloton et, en chantant, tire sur le fil. Vite les années d’adolescence passent... celles de la jeunesse suivent... mais hélas ! sans améliorer sa condition, sans lui enlever ses soucis et ses chagrins. Anxieuse de se soustraire aux obligations qui l’ennuient, espérant se trouver plus heureuse dans une autre position, elle dépelote encore. Ses joies de fiancée, de jeune femme, de jeune mère se succèdent et, cependant, toujours une nouvelle ambition la tourmente, une nouvelle inquiétude la torture, de nouvelles craintes l’assaillent et alarment sa tendresse. Comme toujours, pour les éviter, elle recourt au merveilleux peloton qu’elle allège généreusement. Et maintenant, par la force de l’habitude, à propos de tout, elle déroule le fil.

Elle déroule si bien et si vite, qu’elle constate un jour que le peloton est devenu tout petit, si petit qu’elle n’ose plus tirer le fil. Alors la pauvre femme se prend à pleurer les belles années si vite passées. Sa vie est déjà finie, et elle vient de la commencer... elle est déjà vieille, et hier elle était en pleine jeunesse ! Il lui semble tenir encore la minute délicieuse de jadis et posséder en entier le peloton que sa petite main pouvait alors à peine tenir ; et voilà qu’aujourd’hui elle referme celle-ci, devenue toute sèche, sur une petite boule imperceptible qui marque la fin de son existence ! Toute sa vie a été une course au bonheur qu’elle a vainement cherché, mais, en revanche, elle a été la grande leçon de l’expérience qui ne se paye qu’avec les jours qui ne reviennent plus.

Les années s’offrent toujours somptueusement parées ; de là l’éblouissement qui aveugle et fait trouver le présent si monotone que nous oublions de le vivre et de jouir de ses joyeuses étapes. Nous appelons avidement l’avenir ; c’est la promesse de chansons, de sourires, de joies. Nous y courons... pour apprendre, bien souvent au prix de mortelles blessures, que le passé valait encore mieux, et pour en concevoir d’amers regrets.

Aujourd’hui comme hier, nous nous plaignons de la lenteur du temps qui détient les joies tant désirées. Nous trouvons pénible les sujétions qu’exige le travail, les obligations qui réclament les heures et entravent la liberté. Nous nous impatientons de la ténacité du devoir qui captive et nous le jugeons sévère. Nous cherchons les grandes flambées fugitives que brûlent la vie avant d’éclairer la route.

Et parce que nous ne sommes jamais satisfaits, le chemin du bonheur demeure un sentier presque inconnu, rarement exploré, car nous refusons de suivre les petites lumières qui l’éclairent et s’offrent à être nos guides fidèles.

 

 

MARJOLAINE, Gerbes d’automne, 1928.

 

 

 

 

 

 

 

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