Non loin des murs qui m’ont vu naître

 

 

Non loin des murs qui m’ont vu naître,

Eden du cœur, où j’ai laissé

La meilleure part de mon être.

La chaste image du passé,

 

Il est, sous la verte ramée

Où les oiseaux cachent leur nid,

Une retraite parfumée,

Humble asile que Dieu bénit.

 

À côté, limpide et profonde,

S’étend, pure comme un cristal,

Une nappe d’argent dont l’onde

Me réfléchit le ciel natal.

 

Plus d’une barque la sillonne

Sous les coups de ses avirons,

Plus d’un essaim y tourbillonne

D’abeilles et de moucherons ;

 

Plus d’un saule y baigne ses branches,

Plus d’un insecte aux ailes d’or

Y cherche l’ombre des pervenches

Sur la berge où le flot s’endort ;

 

Plus d’un râle craintif s’y joue,

Caché dans les joncs des étangs ;

Plus d’un frais lilas y secoue

Ses thyrses, arômes flottants.

 

Jadis... mais, à présent, qu’importe

Ce retour vers ces temps enfuis,

Souvenirs que chaque heure emporte,

Rêves si tôt évanouis !

 

Elle n’est plus là pour m’entendre,

Celle qu’en ces ombreux sentiers

Autrefois je venais attendre

Et des jours et des mois entiers.

 

Depuis bien de longues années,

Ce n’est plus moi, moi qui l’attends,

Et, comme elle, se sont fanées

Toutes les fleurs de mon printemps !

 

Hélas ! il a neigé sur elle

Bien des hivers, depuis ces jours

Qu’entraînent les vents sur leur aile,

Mais dont il me souvient toujours,

 

Que d’autres encor l’ont suivie,

Anges qui, du ciel descendus,

N’ont fait que passer dans la vie,

Fantômes à jamais perdus !

 

Que d’autres... et d’autres encore

À qui rien ne parlait de deuil,

Hélas ! et qu’aujourd’hui dévore

Le ver livide du cercueil !...

 

Et cependant sous le vieux chêne

Je reviens encore et m’assieds

Pour voir de la forêt prochaine

Le dôme onduler à mes pieds,

 

Les ruisseaux, si clairs à leur source,

Se perdre en des sables mouvants,

Et les nuages dans leur course

Se balayer au gré des vents !

 

Ainsi, dans sa vie éphémère,

L’homme, aveuglé sur l’avenir,

Marche, de chimère en chimère,

Jusqu’au terme où tout doit finir,

 

Jusqu’à ce que la mort enlève

Le voile de devant ses yeux,

Et que d’un vain et triste rêve

Il se réveille dans les cieux,

 

Le vent souffle encor sous la feuille,

L’esquif glisse encor sur les eaux,

Et, dans l’arbre où je me recueille,

Jase encor le nid des oiseaux ;

 

Comme autrefois, le saule y pleure,

Le lilas encore y fleurit,

Et, d’un doux rayon qui l’effleure,

À l’onde encor le ciel sourit ;

 

La mouche, l’abeille y picore ;

Le râle y cherche un abri sûr,

Et la pervenche y couvre encore

L’insecte de ses fleurs d’azur.

 

Lieux enchantés, séjour que j’aime,

Des mêmes arbres ombragé,

Je te revois toujours le même :

Rien que mon âme n’a changé.

 

La vieillesse seule est venue,

Morose, de ses doigts pesants

Jeter sur ma tête chenue

La glace et le fardeau des ans ;

 

Borner d’un ciel rayé de pluie

Mon horizon jadis si beau,

Et de larmes que rien n’essuie

Caver la pierre du tombeau :

 

Abîme aux vertiges funèbres

Que l’œil tremble d’approfondir,

À moins qu’à travers ses ténèbres

Il m’aperçoive resplendir

 

Dans sa majesté solennelle,

Comme un phare sur un écueil,

L’aube qui se lève, éternelle,

De l’autre côté du cercueil.

 

 

 

Adolphe MATHIEU.

 

 

Recueilli dans Anthologie belge, publiée sous le patronage du roi

par Amélie Struman-Picard et Godefroid Kurth,

professeur à l’Université de Liège, 1874.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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