Prière du vendredi soir

 

 

Dans la nuit de la neuvième heure,

Le corps blême de Jésus-Christ.

L’air frissonne encor de son cri.

Seul un groupe éploré demeure.

 

Et moi, – Juif ou soldat romain ? –

Venu je ne sais d’où ni comme,

Sur mon cœur les péchés de l’homme

Et le sang de Dieu sur mes mains.

 

À la vague lueur de marbre

De ce blanc cadavre, qui pend

Comme un fruit mûr, si lourd, si grand

Qu’il motive à lui seul tout l’arbre,

 

Je me vois soudain dépouillé

De mes nom, prénom, pseudonyme,

Et, comme Adam après le Crime,

Honteux d’être nu et souillé.

 

Ô nuit du Golgotha, lumière

Du Jugement anticipé,

M’arrachant de foudres frappé,

À ma fausse paix coutumière !

 

À mes pieds s’affaissent, flétris,

Les oripeaux de mi-carême

Qui me dérobaient à moi-même

Pour me sauver de mon mépris.

 

Du néant de mes personnages

Voilà soudain ressuscité

Dans son affreuse nudité

Sous le jour cru des témoignages,

 

L’enfant prodigue qui gâcha,

Doublant à chaque coup les mises,

Aux yeux coûteux des convoitises

Tous les trésors de son rachat.

 

Et c’est la fin des folles fêtes !

Le fruit de l’Arbre, en le pressant,

En tirerais-je encor du sang

Pour payer mes dernières dettes ?

 

Mais quoi, voudrais-je blasphémer ?

Si Dieu, me livrant à ma honte,

À ce tribunal me confronte

Avec son Fils, mort de m’aimer.

 

C’est qu’Il veut me gagner, à force

D’amour, à l’éternel Amour.

User des grandes preuves, pour

Dompter ma volonté retorse.

 

Ah ! Dismas, frère bienheureux,

Toi, tu savais comme il faut faire

Pour changer l’aride Calvaire

En un vignoble généreux !

 

Après que, sur commande, un reître

T’eut pris tes haillons de brigand,

Et lorsque ta croix en tanguant

Te dressa, nu, devant ton Maître,

 

Tu rejetas, humble et contrit,

Par un aveu sans réticence

La vivace concupiscence

Qui jusqu’au bout colle à l’esprit.

 

Ce qui te valut la promesse

À mon tour fera mon salut !

Déjà mon cœur ne tremble plus

Et la nuit devient moins épaisse.

 

Jésus, de la croix détaché,

Déjà rayonne, aube très pure,

Ployant comme une gerbe mûre,

Plus fraternel, plus rapproché,

 

Sur les genoux de la Madone,

Qui, sol fécond divinement,

A produit le divin Froment

Et qui, moissonné, nous le donne.

 

 

 

Camille MELLOY.

 

Recueilli dans Notre-Dame des poètes,

anthologie réunie et présentée par Joseph Barbier

(Robert Morel éditeur, 1966).

 

 

 

 

 

 

 

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