Ode à la jeunesse

 

 

Sans cœur, sans âme, l’homme un squelette rappelle :

Jeunesse ! ajoute-moi des ailes !

Pour voler d’un monde qui meurt

Jusqu’au paradis des mirages

Où fait des merveilles l’ardeur,

Du nouveau brandissant la fleur,

Vêtant d’espoir l’or des images !

 

Laissons, troublé par l’âge, un vieux,

Au front sillonné que la terre attire,

Le monde autour de lui décrire

Tel que le voient ses faibles yeux !

 

Plus haut que l’horizon, jeunesse,

Prends l’essor – et d’un œil pareil

À l’œil pénétrant du soleil,

Transperce, toi, l’humaine espèce !

 

Vois donc en bas : s’étend sous ton regard

Un chaos de paresse en l’éternel brouillard :

C’est la terre !

Vois, sur ses pourrissantes eaux,

Un nautile : marin, bateau,

Gouvernail, lui-même se faire !

Chassant un plus petit, il s’est sur lui jeté

Tour à tour, il émerge, il sonde...

À l’onde il n’est collé, ni ne lui colle l’onde...

Le voici, contre un roc, comme bulle éclaté !

Nul ne sait qu’il périt, nul n’a su qu’il existe :

Tel, l’égoïste !

 

Le nectar de vie est suave alors

Qu’avec d’autres tu bois, jeunesse !

Quand les noue ensemble un fil d’or,

S’enivrent les cœurs d’une sainte liesse !

 

Ensemble, jeunes amis !...

Qu’au bonheur de chacun tous nos buts soient soumis,

Forts de l’union et sages d’audace,

Ensemble, jeunes amis !...

Le bienheureux qui dans l’effort trépasse,

Est un échelon vers l’Éden promis

Pour d’autres, tout mort qu’il soit sur la place !

Ensemble, jeunes amis !...

La route est glissante et raide,

Violence et faiblesse en sont les gardiens :

Mais violence à violence cède,

De bonne heure, apprenons que faiblesse se vainc !

 

Qui décapita l’Hydre, enfant encore,

Jeune, étranglera le Centaure,

D’enfer le damné tirera,

Le laurier du ciel conquerra.

Plus loin que le regard ne porte,

Romps ce que la raison ne rompra pas,

Jeunesse, le vol des aigles t’emporte,

Comme la foudre sont tes bras !

 

Bras dessus, bras dessous, hé ! que soit ceinturée

La terre, par nos corps liés :

Nos pensées, en un seul foyer,

Comme nos âmes, concentrées !

Ébranle-toi, bloc terraqué,

Nouvelle voie on t’ouvre, à force :

La moisissure ôtée à ton écorce,

De verts printemps tu pourras évoquer !

 

Alors qu’en des pays où chaos, nuit, confondent

Les éléments luttant entre eux,

Au seul « debout ! » crié par Dieu,

Voilà que se dresse le monde,

Vents rugissent, court l’eau profonde

Et brille le firmament bleu...

 

... Aux pays humains durent nuit et drame

Où les éléments guerroient à dessein !

Mais viendra l’amour y souffler sa flamme,

Du chaos naîtra le monde de l’âme

Que concevra la jeunesse en son sein

Pour, de l’amitié, l’union sans fin...

 

La glace insensible se crève,

L’ombre des préjugés n’est plus :

Matin de liberté, salut !

Où le soleil sauveur se lève !

 

 

 

Adam MICKIEWICZ, déc. 1820.

 

Recueilli dans :

Adam Mickiewicz, Ballades, romances et autres poèmes,

choisis, présentés et traduits du polonais

par Roger Legras, Éditions L’Âge d’Homme, 1998.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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