Les sages

 

 

En leur orgueil froid mais non point paisible,

Les sages dormaient... – les éveille un cri :

A paru dans la foule un Dieu visible

Qui d’éternité les hommes instruit :

« Tuez-le ! crient-ils, il trouble nos rêves ;

En plein jour ? – et si les gens se soulèvent ? »

 

Ils ont allumé des lampes, la nuit,

Ils ont affûté dans leurs Écritures

Leurs raisons d’acier, si froides et dures ;

Leurs disciples, plèbe aveugle, les suit

Pour attraper Dieu – la trahison, certes,

Tout droit les conduit, mais c’est à leur perte.

 

Au fils de Marie, on hurle : « Qu’es-tu ? »

« Je suis » répond-il – et tous se consternent :

« Tu es ? » – « Oui, je suis » : des serfs éperdus

Le troupeau fuit ; les sages se prosternent

Mais voyant ce Dieu gronder sans frapper,

Plus durs sous l’affront ils se sont campés.

 

Ils ont arraché la robe mystique,

Ont flagellé Dieu de mots sarcastiques,

Ont percé son cœur à coups de raisons :

Dieu les aime et fait pour eux oraison !

Et quand leur mépris l’eut mis sous la lame,

D’un noir de sépulcre il laissa leur âme.

 

Leur coupe d’orgueil ont bue, au Dieu mort,

Les sages. S’émut, trembla sur son sort

La Nature – au ciel, pourtant, point d’orage.

Dieu vit. Il n’est mort qu’en l’âme des sages.

 

 

 

Adam MICKIEWICZ, 1832.

 

Recueilli dans :

Adam Mickiewicz, Ballades, romances et autres poèmes,

choisis, présentés et traduits du polonais

par Roger Legras, Éditions L’Âge d’Homme, 1998.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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