La berceuse de Jeanne

 

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

« Jeanne ma Jeannette est-elle malade ? »

Soupire sa mère ; et puis, en tremblant,

Elle chante un air, l’air d’une ballade,

Elle chante un air, un air doux et lent.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Sa mère se met à genoux et prie,

Les yeux vers le ciel, prie avec ferveur,

Prie à deux genoux la Vierge Marie,

Jeanne sa patronne et le bon Sauveur.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Et, pour apaiser son inquiétude,

Elle prie encor – car elle sait bien

Qu’un bon ange est plein de sollicitude –

Elle prie encor son ange gardien.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

« Bon ange, dit-elle, aimes-tu ma Jeanne ?

Si tu ne veux pas que son teint vermeil,

Si tu ne veux pas que son teint se fane,

Donne à mon enfant, donne le sommeil. »

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Le bon ange étend son aile, il s’élance ;

Et la mère admire un esquif ailé

Qui vers le ciel pur monte et se balance,

Vers le beau ciel pur, le ciel étoilé.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Et l’ange de Jeanne a replié l’aile

Près du trône d’or où, plein de bonté,

Dieu le Père assied sa Gloire éternelle,

Sa Toute-Puissance et sa Majesté.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

« Ô Seigneur, dit-il, aimes-tu ma Jeanne ?

Si tu ne veux pas que son teint vermeil,

Si tu ne veux pas que son teint se fane,

Donne au bel enfant, donne le sommeil ! »

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Ainsi l’ange fait à Dieu sa prière ;

Le Seigneur sourit au beau Séraphin.

Le Seigneur sourit : l’ange de lumière

Reçoit du Seigneur un coffret d’or fin.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Dans le coffret d’or et de pierreries,

Dans le coffret d’or le Seigneur a mis

Le calme repos des têtes chéries,

Les sommeils profonds, les rêves amis.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Et puis, dans la nuit pleine de mystère,

L’ange, qui paraît un esquif ailé,

Du haut du ciel pur redescend sur terre,

Du haut du ciel pur, du ciel étoilé.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Et l’ange de Jeanne a replié l’aile

Près du petit lit aux rideaux soyeux

Où Jeanne, parmi la blanche dentelle,

Où Jeanne Jeannette ouvre ses grands yeux.

 

        Jeanne agite ses petits bras ;

        Jeanne Jeannette ne dort pas.

 

Ouvrant le coffret, l’ange ami secoue

Autour de son front et dans ses grands yeux,

Sur sa bouche rose et puis sur sa joue,

Le calme sommeil descendu des cieux.

 

        L’ange au ciel reprend son essor :

        Et Jeanne Jeannette s’endort.

 

 

 

Stanislas MILLET.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1893.

 

 

 

 

 

 

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