La flore alpestre

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Gabriel MONAVON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n’est pas d’aspect plus ravissant que celui de la grande montagne, lorsqu’à la jeune saison elle se revêt de sa tunique fleurie. Veut-on admirer ce merveilleux tableau dans sa pompe riante et printanière ?...

Sous les parois rocheuses qui ferment les hauts pâturages, au pied des glaciers, s’étendent des pentes humides et fraîches tapissées de gazon et de mousses. Ces espaces, région de la paix et du silence, sont si profondément solitaires qu’on est porté à penser à ce que fut le monde primitif au temps de sa virginité, quand les êtres ne se mêlaient pas encore aux choses, ou quand il n’y avait, pour animer les paysages déserts, que des monstres aux formes lentes et rudimentaires, à peine dissemblables du limon d’où venait de les tirer le Verbe créateur...

Cependant, pour atténuer la tristesse sauvage de cette impression, des fleurs éclatantes semblent s’empresser de s’épanouir en une symphonie de couleurs et de grâce. Car c’est, en effet, dans l’épanouissement du printemps que l’Alpe est la plus belle, – constellée de fleurs comme un ciel où il n’y aurait que des étoiles, gemmée de corolles comme une chevelure où luiraient plus de pierreries qu’il n’y en a dans les contes fabuleux de tout l’Orient !... Ce sont des vastes champs de rhododendrons d’un rouge vif, dressés sur leurs tiges ligneuses, aux dures feuilles luisantes, – fleurs hardies et presque provocantes, fleurs vigoureuses, fleurs de santé, de bonne mine et de courage. De place en place, parmi leurs buissons envahissants, se dressent en soleils orangés les grandes fleurs de l’arnica, tandis que les lys martagons balancent leurs turbans ponctués de pourpre et que d’autres lys, ces petits lys blancs qu’on nomme des « paradisies », si délicats, si frêles, semblent destinés à mourir aux premières gouttes de rosée. Des violettes à deux fleurs, abondantes et menues, garnissent de touffes sombres le creux des roches abritées. Sur les bordures et les replats du gazon, s’étalent des moissons de narcisses d’une blancheur neigeuse, des tapis de pensées striées d’un velours d’un bleu intense ; des touffes de gentianes encore plus bleues, ouvrant leurs corolles en coupes allongées, de grassettes d’un bleu presque noir, pareilles à de minuscules cornes d’abondance, de myosotis d’un bleu clair et vif, du même bleu que le ciel.

Au bord des névés qui se retirent, pointent les clochettes dentelées des soldanelles, petites fleurs en demi-deuil d’un lilas tendre, de la couleur des chagrins presque consolés, si pressées de naître qu’elles percent la couche de neige trop lente à disparaître. Elles semblent hâter leur floraison comme pour céder bientôt la place aux tardives edelweiss, ces filles immaculées et immarcescibles des glaciers. Jusque dans les pierriers s’ouvrent les céraistes aux blancs pétales, les courtes grappes des linaires aux pistils de safran, les bouquets blancs des achillées...

Et il y en a d’autres encore, car toutes les herbes fleurissent, toutes les mousses germent, toutes les plus humbles graminées palpitent et s’élancent, dans une gaîté folle, dans un éperdu besoin de vivre, de jeter le pollen aux brises caressantes, de semer pour l’avenir des moissons de pétales colorés et de pistils odorants.

C’est comme un sourire épanoui des plantes, autour desquelles bourdonnent d’invisibles insectes dont le bruissement se fond et s’évapore dans l’immensité du silence, tandis que de grands, papillons furtifs, des apollons aux ailes de lumière, voltigent parmi toutes ces fleurs, comme des fleurs vivantes.

Telle est cette étincelante symphonie florale de la nature alpestre, où s’unissent en de merveilleux accords les couleurs, les parfums et les grâces. Spectacle magique et inoubliable pour les yeux qui en ont été frappés !

 

 

Gabriel MONAVON.

 

Paru dans La Sylphide en 1897.

 

 

 

 

 

 

 

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