Un rêve

 

 

 

À Madame la baronne Sipière.        

 

 

Dieu, qui m’avait tout donné, m’a tout repris, et mon seul bonheur à présent est d’évoquer la mémoire de ceux qui ne sont plus. Je vis entourée de leurs portraits, des objets qui leur ont appartenu, et toutes ces reliques qui les font revivre pour moi me rendent souvent leurs chères images.

Mes heures les plus douces sont celles où tout repose et où, dans la nuit profonde, mes chers morts semblent ressusciter pour moi seule ; notre douce intimité renaît ; nous causons encore, et le réveil, qui met un terme à ces fugitives entrevues, me laisse l’infinie douceur de leur souvenir.

Parfois, ce n’est pas dans ce monde que je les revois, une vision plus haute m’apparaît : je les aperçois au ciel où ils m’attendent et où j’ai hâte de les rejoindre, et c’est ainsi qu’une nuit, où je goûtais enfin un peu de repos acheté par de longues souffrances,

 

                Je fis un rêve, et je crus voir

                S’entr’ouvrir la voûte étoilée ;

                Bien plus loin que l’azur du soir

                C’était une auguste assemblée

                Où, comme en un monde nouveau,

                J’apercevais, vêtus de gloire,

                Tous ceux que j’ai mis au tombeau

                Et qui vivent dans ma mémoire.

                Ma mère était au milieu d’eux

                Et, parmi des splendeurs étranges,

                Ma fille, au plus profond des cieux,

                Était au premier rang des anges.

 

Que ce songe était doux et qu’il m’a consolée ! Pourquoi fut-il si court ? Quand le jour revient, quand je retombe dans la réalité, que de souffrances je prévois encore ! Rester, partir, lequel vaut mieux ? Souverain maître des cieux, vous dont je bénis le nom et dont j’attends l’avènement, je me soumets à votre volonté.

 

        Seigneur ! vous qui gardez dans le trésor des heures

        La lumière et la paix pour tous les cœurs calmés,

        Daignez m’admettre un jour dans les saintes demeures

        Où reposent en vous ceux que j’ai tant aimés !

        Père ! faites rêver l’enfant qui vous adore,

        Afin que, dans la nuit, je les revoie encore !

 

Et je me sentirai réconfortée par l’apparition de ces figures chéries ; il me semblera que les horizons célestes se rapprochent de moi. Partir, rester, lequel faut-il demander ?

Il vaut mieux me résigner, car si Dieu prolonge mes souffrances et mon attente, c’est que ma tâche n’est pas finie sur la terre, c’est que ceux qui restent ont encore besoin de moi.

 

        Le soleil déclinant tombe aux flancs des coteaux

        La brise s’alaiigu.it au milieu des rameaux ;

        Dans l’azur étoilé, pâle, Phœbé se lève ;

        C’est l’heure de songer... Commencez, ô mon rêve !

        L’écho m’apportera les chansons et les ris

        Et le babil joyeux de mes chers petits-fils.

        Je les verrai courir, ces gentils bébés roses,

        Je les verrai dormir en leurs chambres bien closes ;

        Mais eux, ces chers absents, dans leur nuit sans émoi,

        Rêveront-ils aussi ? Penseront-ils à moi ?

 

Hélas ! déjà l’aube !... les premières clartés du jour emplissent ma fenêtre et chassent les songes...

Et me voici seule... plus seule que jamais !

 

 

Félix de MONNECOVE.

 

Paru dans la Revue septentrionale en 1896.

 

Au concours littéraire organisé à Amiens, en 1895, par l’Abri,

cette pièce a remporté le 2e prix dans la section « Prose mêlée de vers ».

 

 

 

 

 

 

 

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