Prière de minuit

 

 

Mon Dieu, puisque c’est l’heure où les bonnes églises,

Tous feux baissés, dormant sous leurs capuches grises,

Ne guident plus l’élan des prières apprises ;

 

Puisque nous veillons seuls dans la mi-nuit d’été :

Vous dont ce ciel ne contient pas l’immensité,

Moi qui ne suis qu’un petit souffle tourmenté...

 

Que nul ne nous entend, ni l’ange, ni le prêtre,

Debout dans l’humble cintre ouvert de ma fenêtre,

Les bras en croix, je vous prierai de tout mon être !

 

Je ne réciterai ni pater, ni credo :

Je crois puisque je viens vous montrer mon fardeau,

Mais ma faim ou ma soif n’attend de pain ni d’eau,

 

Père, je suis l’enfant qui ne veut qu’une chose,

Une seule... et rebelle à ce qu’on lui propose,

Jette en pleurant l’épi pour mordre dans la rose !

 

Ô Vous qui savez tout, savez-vous ce que c’est

Qu’un cœur inoublieux où l’amour a passé,

Et qui demeure vide et chaud ?... Moi, je le sais.

 

Ce cœur découragé du plaisir, de la tâche,

Dans sa fidélité douloureusement lâche,

C’est le mien... tout le jour, je le nie ou le cache.

 

Habile à me farder d’un sourire qui ment,

J’exalte la fierté de mon isolement.

Mais le soir... mais la nuit... ah ! mais en ce moment !

 

Père, est-ce mal ? Voyez, sans orgueil, je dénombre,

Puisque, entre Vous et moi, c’est un secret dans l’ombre,

Ce qui manque à ce cœur, comme ce qui l’encombre.

 

Entre l’âme et la chair, fraternel à la fois

Aux Élohims des ciels comme aux bêtes des bois,

Il transfuse en son sang chaque source où je bois.

 

Parfois, dans sa détresse, il s’égare, il blasphème,

Accuse un Dieu vindicatif, proteste même

Qu’il ne peut vous aimer... Si, pourtant, il vous aime !

 

Et dans l’agilité requise à vos travaux

Il saurait égaler vos fils les plus dévots,

S’il recevait l’appui du seul cœur qu’il lui faut...

 

Père, pour vous atteindre et vous toucher, que dire ?

La vallée où le lent clair de lune s’étire,

A le double montant flexueux d’une lyre.

 

Rainettes sous les joncs et grillons dans le blé,

Croisent, au fifre aigu, le chalumeau perlé...

Le mystère nocturne est un bonheur voilé.

 

Mais brisant votre accord, mélodie et silence,

Ma supplication frappe une dissonance

Dont la sérénité de cette nuit s’offense.

 

Que la note soit juste... ou l’instrument rompu !

Heureuse ou morte, enfin, je ne troublerai plus

La paix où les dormants rejoignent les élus.

 

Père, ceci n’est pas un thème que j’invente :

C’est mon cri trop réel d’angoisse et d’épouvante

Dans cette solitude où je suis trop vivante...

 

C’est mon acte d’amour, et d’espoir, et de foi,

Quand mes bras déchirés s’arrachent de la croix.

Père, il me faut ce cœur : donnez... rendez-le-moi !

 

 

 

Amélie MURAT.

 

Paru dans La Muse française en 1924.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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