Nouvelle création

 

 

J’étais seul dans tes champs, à l’heure consolante

Où l’omble qui descend ranime chaque plante

Et les hommes, courbés sur leur labeur urgent.

J’écoutais les oiseaux rentrer en voltigeant

Au nid familial et, tout près, sur la grève,

Des flots qui se calmaient.

                                          Bientôt, ce fut la trêve.

Un dernier bruit frappa mon oreille. Il montait

De la terre, et j’ignore encore si c’était

De la tristesse humaine ou peut-être une ondine

Qui chantait le retour d’un beau soir en sourdine.

La nature dormait. J’élevai mes regards

Vers l’infini très pur, brillant de toutes parts.

Des légions de feux, luisant avec ivresse,

Commençaient dans l’azur leur ronde enchanteresse,

Leur lumineux sillon parmi l’immensité.

 

C’était toute la gloire et toute la beauté,

C’était toute la paix et toute l’harmonie !

 

Je le pensais... Hélas ! à chaque instant bannie,

L’illusion renaît en nous à chaque instant.

Nous voyons fugitif ce que Dieu fit constant,

Serein le front qui penche, attiré par le gouffre,

Grand ce qui ne l’est pas, tranquille ce qui souffre,

Sans amour ce qui vit et qui meurt en aimant.

 

En plongeant de nouveau dans le bleu firmament,

Mon œil y découvrit sans effort autre chose

Qu’une immatérielle et vive apothéose.

Ô regret ! Les milliers d’étoiles qui, là-haut,

S’en allaient sur leur char de flamme, sans cahot,

Déroulant leur féerie au-dessus des vallées,

Formaient d’ardentes croix, l’une à l’autre mêlées,

Qui disaient les malheurs, l’effroi, les passions,

Le tragique destin des constellations.

 

Monde mystérieux qui portes enchaînée

Et rivée à ton sein l’humaine destinée,

Qui traînes après toi, dans l’ombre, et dois subir,

En roulant dans l’espace, un éternel soupir

Et d’éternels sanglots qui marquent ton orbite,

Va, tu n’es pas le seul où la souffrance habite,

Où la mort sur la vie a le droit du plus fort ;

Va, tu n’es pas le seul complice de la mort.

 

Au berceau de verdure empli du vol des anges

Où, sous l’œil attentif des célestes phalanges,

Pour un jour qui devait être sans lendemain,

Jéhovah te fit naître, une palme à la main

Et la blancheur d’une aube immortelle dans l’âme,

Soudain moins ébloui de Dieu que d’une femme,

Adam, père oublieux des hommes, qu’as-tu fait ?

À quoi donc songeais-tu quand Satan triomphait ?...

Maintenant, l’Univers, les mondes et l’abîme,

Ne savent rien, sinon que sur eux est ton crime

Et que, pour les laver, les affranchir aussi,

C’est trop peu de souffrir et d’implorer merci.

 

Mais un jour, mais bientôt, parmi toutes les sphères,

Une main détruira les croix et les calvaires,

Et les gouffres de honte, et les chemins de sang,

Tout ce qui déshonore et tout ce qui descend.

Tous les cris cesseront pour jamais, car la vie

Sera comme une cime avec amour gravie.

Ce que l’homme en Éden perdit de royauté

Renaîtra, plus divin parmi l’humanité.

Dieu regarde, et déjà, dévoilant son mystère,

Brillent les nouveaux cieux et la nouvelle terre !

 

 

 

Charles NEUHAUS.

 

Quinze ans de poésie française à travers le monde,

Anthologie internationale,

textes rassemblés par J. L. L. d’Arthey,

France Universelle, 1927.