Mon Dieu, je ne sais rien

 

FRAGMENTS

 

 

Mon Dieu, je ne sais rien, mais je sais que je souffre

Au-delà de l’appui et du secours humain,

Et puisque tous les ponts sont rompus sur le gouffre,

Je Vous nommerai Dieu, et je Vous tends la main.

 

Mon esprit est sans foi, je ne puis Vous connaître,

Mais mon courage est vif et mon corps fatigué,

Un grand désir suffit à Vous faire renaître,

Je Vous possède enfin, puisque Vous me manquez.

 

Les lumineux climats d’où sont venus mes pères

Ne me préparaient pas à m’approcher de Vous,

Mais on est votre enfant dès que l’on désespère

Et quand l’intelligence à plier se résout.

 

J’ai longtemps recherché le somptueux prodige

D’un tout-puissant bonheur sans fond et sans parois :

La profondeur est close au prix de mon vertige,

Et mon torrent toujours rejaillissait vers moi.

 

Ni les eaux, ni le feu, ni l’air ne Vous célèbrent

Autant que mon pensif, inerte et vaste amour ;

La lumière est en moi, j’erre dans les ténèbres

Quand mes yeux sont voilés par la clarté du jour.

 

Jamais un être humain avec plus de constance

N’a tenté de Vous joindre et d’échapper à soi.

Au travers des désirs et de leur turbulence,

J’ai cherché le moment que l’on Vous aperçoit.

 

... Seigneur, Vous l’entendez, je n’ai pas d’autre offrande

Que ces pourpres charbons retirés des enfers ;

Depuis longtemps l’eau vive et l’agreste guirlande

S’échappaient de mes bras, épars comme un désert.

 

Mais ce que je Vous donne est le soupir des âges,

L’orgueil désabusé porte la corde au cou

Et ma simple présence est comme un clair présage

Qu’un siècle plus gonflé veut s’écouler en Vous.

 

Ce n’est pas la langueur, ce n’est pas la faiblesse

Qui me fait Vous louer et vers Vous me conduit ;

Mais l’exaltant soleil, comblé de mes caresses,

Quand mon esprit souffrait l’a laissé dans la nuit.

 

– J’ai vu que tout priait, le désir et la plainte,

Que les regards priaient en se cherchant entre eux,

Que les emportements, le délire et l’étreinte

Sont la tentation que nous avons de Dieu.

 

... C’est pour quoi, les yeux clos aux lueurs de la terre,

Délaissant ma raison comme un trop faible ami,

Je Vous bois, ô torrent dont le feu désaltère,

Dieu brûlant, Vous en qui tout excès est permis.

 

 

 

Anna de NOAILLES, Les vivants et les morts,

Arthème Fayard.

 

 

 

 

 

 

 

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