Cantique à la Reine

 

 

 

                                   I

 

 

Douce Vierge Marie, humble mère de Dieu

            Que tout le ciel contemple,

Vous qui fûtes un lys debout dans l’encens bleu

            Sur les marches du temple ;

 

Épouse agenouillée à qui l’ange parla ;

            Ô divine accouchée,

Que virent les bergers, qu’une voix appela,

            Sur la roche penchée ;

 

Qui regardiez dormir, l’abreuvant d’un doux lait,

            L’adorant la première,

Un enfant frêle et nu, mais qui, la nuit, semblait

            Être fait de lumière ;

 

Ô morte, qu’enleva dans les plis des rideaux

            À la nuit de la tombe

L’essaim des chérubins, qui portent à leur dos

            Des ailes de colombe,

 

Pour vous placer, au bruit de leurs psaltérions

            Dont tressaillent les cordes,

Au Ciel où vous régnez, les doigts pleins de rayons

            Et de miséricordes ;

 

Vous qu’un peuple sur qui votre bleu manteau pend

            Doucement importune,

Vous qui foulez avec la tête du serpent

            Le croissant de la lune ;

 

Vous à qui Dieu donna les grands voiles d’azur,

            Le cortège des Vierges,

La cathédrale immense au maître-autel obscur

            Étoilé par les cierges,

 

La couronne, le sceptre et les souliers bouffants,

            Les cantiques en flammes,

Les baisers envoyés par la main des enfants,

            Et les larmes des femmes ;

 

Vous dont l’image, aux jours gros d’orage et d’erreur,

            Luisait sous mes paupières,

Et qui m’avez tendu sur les flots en fureur

            L’échelle des prières ;

 

Vous qui m’avez cherché, portant votre fanal,

            Aux pentes du Parnasse ;

Vous qui m’avez pêché dans les filets du mal

            Et mis dans votre nasse ;

 

Que n’ai-je, pour le jour où votre fête aura

            Mis les cloches en joie,

La règle du marchand qui pour vous aunera

            Le velours et la soie !

 

Que n’ai-je les ciseaux sonores du tailleur,

            Pour couper votre robe !

Et que n’ai-je le four qu’allume l’émailleur !

            J’émaillerais le globe

 

Où votre pied se pose, ainsi qu’un oiseau blanc

            Planant sur nos désastres,

Globe d’azur et d’or, frêle univers roulant

            Son soleil et ses astres !

 

Que ne suis-je de ceux dont les rois font grand cas,

            Et qui sont des orfèvres !

Je vous cisèlerais des bijoux délicats,

            Moins vermeils que nos lèvres ;

 

Mais, puisque je ne suis ni l’émailleur plaisant,

            Ni le marchand notable,

Ni l’orfèvre fameux, ni le tailleur croisant

            Les jambes sur sa table ;

 

Que je n’ai nul vaisseau sur les grands océans,

            Nul trésor dans mon coffre,

J’ai rimé ce bouquet de vertus que céans

            De bon cœur je vous offre.

 

Je vous offre humblement ce bouquet que voici :

            La couleur en est franche

Et le parfum sincère, et ce bouquet choisi

            C’est la chasteté blanche.

 

C’est l’humilité bleue et douce, et c’est encor

            Fleur du cœur, non du bouge,

La pauvreté si riche et toute jaune d’or

            Et la charité rouge ;

 

Ce n’est pas que je croie habiter les sommets

            De la science avare ;

Et je n’ai pas le fruit de la sagesse, mais

            L’amour de ce fruit rare ;

 

Au surplus, je n’ai pas l’améthyste à mon doigt,

            Je ne suis pas du temple,

Et je sais qu’un chrétien pur et simple ne doit

            À tous que son exemple.

 

Je ne suis pas un prêtre arrachant au plaisir

            Un peuple qu’il relève ;

Je ne suis qu’un rêveur et je n’ai qu’un désir :

            Dire ce que je rêve.

 

 

 

                                  II

 

 

Aimez : l’amour vous met au cœur un peu de jour ;

            Aimez, l’amour allège ;

Aimez, car le bonheur est pétri dans l’amour

            Comme un lys dans la neige !

 

L’amour n’est pas la fleur facile qu’au printemps

            L’on cueille sous son aile,

Ce n’est pas un baiser sur les lèvres du temps,

            C’est la fleur éternelle.

 

Nous faisons pour aimer d’inutiles efforts,

            Pauvres cœurs que nous sommes !

Et nous cherchons l’amour dans l’étreinte des corps,

            Et l’amour fuit les hommes.

 

Et c’est pourquoi l’on voit la haine dans nos yeux,

            Et dans notre mémoire,

Et ce vautour ouvrit sur nos fronts soucieux

            Son affreuse aile noire ;

 

Et c’est pourquoi l’on voit jaillir de leur étui

            Tant de poignards avides ;

Et c’est pourquoi l’on voit que les cœurs d’aujourd’hui

            Sont des sépulcres vides.

 

Voilà l’éternel cri que je sème au vent noir,

            Sur la foule inutile ;

Tel est le grain qui fume en l’encensoir

            De ma vie inutile.

 

 

 

                                  III

 

 

Cependant bien que j’eusse encor peu combattu

            Pour la sainte querelle,

Mes yeux, l’ayant fixée, ont vu que la vertu

            Est étrangement belle ;

 

Que son corps s’enveloppe en de puissants contours

            Et que sa joue est pleine ;

Qu’elle est comme une ville, assise avec ses tours,

            Au milieu de la plaine ;

 

Que ses yeux sont sereins, ignorant l’éclair vil,

            Ainsi que les pleurs lâches ;

Que son sourire est gai comme une aube en avril,

            Que, pour de nobles tâches,

 

Les muscles de ses bras entrent en mouvement,

            Comme un arc qui s’anime,

Pendant que son cou porte impérialement

            Sa tête magnanime ;

 

Qu’un astre sur son front luit plus haut que le sort,

            Et que sa lèvre est grasse,

Et qu’elle est dans le calme, enveloppant l’effort,

            L’autre nom de la grâce ;

 

Qu’elle est comme le chêne en qui la sève bout

            Jusqu’à rompre l’écorce ;

Et qu’elle est, dans l’orage, indomptable et debout,

            L’autre nom de la force ;

 

Que sa mamelle est vaste et pleine de bon lait,

            Et que le mal recule

Comme une feuille, au vent de son geste, et qu’elle est

            La compagne d’Hercule.

 

Et je vous dis : ô vous, qui comme elle régnez,

            Ô Vierge catholique !

Les saints joyeux sont morts, nos temps sont condamnés

            Au mal mélancolique ;

 

La joie et la vertu se sont voilé le front,

            Ces sœurs sont exilées ;

Et je ne vois pas ceux qui les rappelleront

            Avec des voix ailées !

 

Ô Vierge ! Hâtez-vous ! Déjà l’ange s’enfuit

            Sous le ciel noir qui gronde,

Et le monde déjà s’enfonce dans la nuit,

            Comme un noyé dans l’onde !

 

Tout ce qui fleurissait et parfumait l’été

            De la vie et de l’âme,

L’amour loyal de l’homme et la fidélité

            Pieuse de la femme,

 

Ces choses ne sont plus ; l’haleine des autans

             A balayé ces roses,

Et l’homme a changé l’homme, et les gens de nos temps

            Sont repus et moroses ;

 

Oui, c’est la nuit qui vient, la nuit qui filtre au fond

            De l’âme qui décline,

Et grelotte déjà dans cet hiver profond,

            Comme une ombre orpheline ;

 

Aussi je crie ; ô Vous – n’aurez-vous pas pitié

            De notre temps qui souffre,

Naufragé qui s’aveugle et qui chante, à moitié

            Dévoré par le gouffre ?

 

Ô vite, envoyez-nous, le cœur plein de pardons

            Et les yeux pleins de flammes,

Celui qui doit venir, puisque nous l’attendons,

            Lui seul prendra les âmes ;

 

Sa main se lèvera seulement sur les fronts

            Noirs de gloire usurpée,

Et les divins conseils de Dieu lui donneront

            La parole et l’épée ;

 

Il sera le pasteur, il sera le nocher ;

            Il fera pour l’Église

Jaillir le sentiment, comme l’eau du rocher

            Sous la main de Moïse.

 

Car rien ne sert d’avoir, pour fonder sur le cœur

            Incertain de la foule,

Un monument qui monte et qui sorte vainqueur

            Du siècle qui s’écroule,

 

Une lyre géante, et des lauriers autour

            D’un front lourd de conquêtes,

Et les rimes du vers, dramatique tambour

            Que frappent deux baguettes ;

 

De mouvoir une lèvre allumée au soleil,

            D’éloquente frottée,

D’où s’échappe un torrent de paroles, pareil

            À la lave irritée,

 

Ni même de tenir à son poing souverain

            Le glaive à lame amère

Qu’Achille ramassa sur l’enclume d’airain

            Du forgeron d’Homère ;

 

Qu’Alexandre saisit, qui le passe aux Césars

            Dont la gloire est jalouse,

Et que Napoléon cueille dans les hasards,

            Aux pieds de Charles douze ;

 

Tandis qu’il suffira, sous le regard de feu

            De l’amour qui féconde,

D’un seul Juste, sur qui souffle l’esprit de Dieu,

            Pour transformer le monde.

 

 

 

Germain NOUVEAU, Poésies d’Humilis et vers inédits, 1924.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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