Charité

 

 

Nourrissez votre cœur du feu des charités,

Filles du Fils de l’homme, aux yeux pleins de clartés.

Aimez celle qu’un peuple appelle politesse.

Avant Nôtre-Seigneur, savoir vivre, qu’était-ce ?

Quelque chose au dehors, mais au fond, presque rien.

Être civilisé, c’est bien poli, très bien ;

La politesse, fleur de l’homme charitable,

Règle notre attitude et rit à notre table,

Et donne un sens exquis aux choses du repas.

Science qui s’apprend, et qui ne s’apprend pas :

Code intime et profond, né dans la quiétude

Du cloître, et dont le monde, après, fit son étude.

L’âme où passa Jésus toujours en garde un pli,

Et c’est encor rester chrétien qu’être poli.

La politesse est reine et fait son doux royaume

Des cœurs purs, c’est un lis royal qui les embaume !

Non celle qui se montre en chapeaux élégants,

Bien qu’un homme se lise aux couleurs de ses gants,

Ni celle qui fatigue, ou bien qui complimente,

Obligée à se taire à moins qu’elle ne mente :

Mais celle-là qui règne avec simplicité,

Qui sait servir le miel pur de la vérité ;

Qui veut laisser chacun ou chacune à sa place,

Qui calme les transports, comme elle rompt la glace.

Parmi les charités, si légères au sol

Qu’elles foulent si peu, que l’on dirait un vol

Timide, à fleur de terre, ou d’ange ou d’hirondelle ;

Au nom des tout petits qui soupent sans chandelle

Sous les arbres, les yeux dans leurs cheveux trop longs,

Et viennent d’Italie avec leurs violons ;

Du vieux joueur de flûte, aux mèches toutes grises,

Et du pauvre, à genoux sur le seuil des églises,

Qui marmotte une antienne ou qui froisse les grains

Du rosaire, à la fête ou vont les pèlerins ;

Parmi les charités, porteuses d’escarcelles,

D’un vers reconnaissant je veux célébrer celle

Qui passe en écoutant les plaintes des roseaux,

Et qui donne aux petits comme on donne aux oiseaux

Fais ton miel admirable, ô reine des abeilles,

Charité, donne encor tes jours, ton cœur, tes veilles :

Jésus multiplia les poissons et les pains.

Voyez, dans ce palais, dont les plafonds sont peints,

Où les lustres ont plus de branches que les arbres,

Où le peuple des sphinx taillés au cœur des marbres

Garde la cour sonore et les vastes paliers,

Château plein de frontons, d’urnes et de piliers,

Cette royale entant toute belle, qui foule,

Comme un jardin fleuri, l’éloge de la foule !

Eh bien, la charité qui lui parle à mi-voix

Saura lui retirer les bagues de ses doigts.

La perle éclose au coin de son oreille en flamme,

Sa chevelure où rit la gloire de la femme,

Sa chambre où le soleil allonge dans la paix

Sa large griffe d’or sur les tapis épais,

Ses miroirs éclatants, les servantes accortes,

Ce vestibule altier, plein de dessus de portes,

Où des gens, dont le vent chiffonne le manteau,

Sont poudrés par Boucher et fardés par Watteau,

Et l’œil de ces bergers diseurs de douces choses,

Les grands vases de fleurs, où Sèvre a peint les roses,

Ses pieds si délicats chaussés de gros souliers,

Sa taille consacrée à d’humbles tabliers,

Sous sa coiffe de tulle et d’épingles légères,

L’entant ira, parmi les âmes étrangères,

Fermer les yeux des morts, coudre le drap fatal,

Ou, sous les crucifix des murs de l’hôpital,

Au chevet d’un mourant dont la bouche blasphème,

Pour lui dire « Je suis votre sœur qui vous aime ! »

Cette charité-là se nomme amour divin,

Elle enivre les cœurs, plus forte que le vin.

Père des charités, dont le Père pardonne.

Jésus, ô doux Jésus, pour qu’enfin l’on se donne

À vous, dont on tient l’âme et le cœur que l’on a.

Vous qui changiez en vin l’eau claire de Cana

Qui chantait en entrant sonore au col des vases,

Changez la boue en or dans nos cœurs lourds de vases.

Vous qui rendiez la vue à ceux dont les bâtons

Tâtent le pied des murs, nous marchons à tâtons,

Et nous sommes des sourds, et la pierre est pareille

À nous. Maître, mettez le doigt sur notre oreille !

Vous, dont l’ordre, au soleil qui sur le peuple luit,

Tirait Lazare blanc des brumes de la nuit,

Seigneur, ressuscitez aussi nos cœurs de roche,

S’il est vrai, ô Seigneur, que votre règne approche !

 

 

 

Germain NOUVEAU, Poésies d’Humilis et vers inédits, 1924.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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