Mors et vita

 

 

        Souvenez-vous des humbles cimetières

              Que voile aux villages voisins

Le pli d’un coteau pâle où pendent les raisins

Qu’éveille, au point du jour, l’air du casseur de pierres.

Seuls, les vieux fossoyeurs ont d’eux quelque souci.

                      Et c’est à peine si –

              Comme des brebis étonnées,

Loin du troupeau fumant des douces cheminées,

Loin du clocher, ce pâtre amoureux d’horizons –

                          Quelques maisons

                          Abandonnées,

                          Toutes fanées

                          Par les saisons,

Du vide de leurs yeux dans leur face hagarde,

Contemplent – par-dessus l’enclos au portail veuf

              Parfois de l’auvent qui le garde –

La chapelle en ruine à la grande lézarde,

Les tertres anciens et les croix de bois neuf.

 

 

        Mais l’été que l’ange envoie aux vallées,

                Pour les églogues étoilées,

Aux grands blés roux buvant ses haleines de feu,

              Et vers les rivières vermeilles,

              L’été, sur un signe de Dieu,

Fait, avec ses rayons, de sauvages corbeilles

De ces asiles tout en fleurs où les abeilles,

Dans l’herbe haute et drue ainsi que des remords,

D’un long bourdonnement ensommeillent les morts.

 

À midi, le soleil silencieux qui tombe,

Grave, comme un chat d’or s’allonge sur la tombe

              Dont la blancheur brûle, éclatant

Parmi l’argile rose ou les avoines folles,

              Pendant que le lézard entend

Passer, dans les bruits vains et les vagues paroles,

La robe, ayant l’odeur de nos amours défunts,

        De la Mort, mère et reine des parfums.

 

              Tramée avec les fils du rêve,

Voici s’assombrir l’heure où la lune se lève,

Et le lourd laboureur qui rentre réfléchit

              Sur la route où l’air pur fraîchit,

Le long des murs sacrés, et son cœur croit entendre

              Une voix étouffée ou tendre,

Dans la nuit bleue et noire ainsi que le corbeau...

La nuit donne la vie aux choses du tombeau.

 

        Cependant, là-bas, dans les nécropoles,

Sur qui la nue ardente ébauche des coupoles,

Et qu’endorment les cris confus et les oiseaux

Des villes, dont le vaste oubli pèse à leurs os,

              Une immobile multitude

Poursuit le même rêve en la même attitude ;

Et depuis tant d’hivers que les soleils lassés

Ne comptent plus les noms par les vents effacés,

        Malgré leur solitude qui s’ennuie,

Au cantique filtré sur leur front par la pluie,

Elles peuvent goûter encor des jours bénis,

              Ces pauvres âmes désolées,

              Vers la douce époque des nids,

              Sous les funéraires feuillées,

Quand Mai, de sa main fine, aux grilles des caveaux

Attache des bouquets et des regrets nouveaux,

              Ou quand leur commune patronne,

Leur fête, fait éclore une triste couronne :

Ce jour-là, plus d’un deuil charmant qui vient errer

Dans les sombres jardins, tressaille à rencontrer,

Sous les branches d’automne à peine encore vertes,

L’impériale odeur des tombes entr’ouvertes.

Et tous, ceux du village et ceux de la cité,

              Ceux qui sourient d’avoir été

              De gais bouviers dans la campagne,

Et ceux dont la statue en marbre est la compagne,

Ces morts que Dieu sema comme on sème le blé,

        Tous dorment d’un sommeil si peu troublé,

                      Qu’il semble que la vie,

                      À ces mornes reclus

                      Lugubrement ravie,

                      Ne doive jamais plus

                      Monter ni redescendre

Des yeux pleins de nuit noire au cœur tombant en cendre.

 

                Aucun orchestre en floraison

Sous les bosquets royaux dans la chaude saison,

Aucune orfèvrerie amoncelant ses bagues,

                Aucun océan soucieux

Des perles qu’il charrie aux plis lourds de ses vagues,

                Aucun Messidor sous les cieux

Qui couvrent la splendeur des terres éventrées,

                Ni le soleil de ces contrées

                Où son regard luit si hautain,

Sur les monts que couronne une âpre odeur de thym,

                Qu’il semble à la stupeur physique

                Que le rayon fait la musique ;

                Ni lune en fleur d’aucun été,

Ni comètes semant de diamants leur voie,

Ne roulent plus d’ivresse en versant plus de joie,

                Que la solennelle clarté

Qui, tenant de la rose et de la primevère,

Jaillira par la fente en rumeur des cercueils,

Comme un vin parfumé des blessures du verre,

                Quand, sonnant la fuite des deuils,

L’ange du Jugement, sur le tombeau du Juste,

Soulèvera la pierre avec un geste auguste !

 

 

 

Germain NOUVEAU, Poésies d’Humilis et vers inédits, 1924.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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