Mal du pays

 

 

Par un beau soir de juin, lorsque les hirondelles

Célèbrent dans les airs le retour de l’été,

Et, de leurs cris joyeux se poursuivant entre elles,

Plus haut, toujours plus haut, vont déployer leurs ailes,

Ivres de mouvement, d’azur et de clarté,

 

Alors l’aigle avorté, l’aigle incomplet qu’on nomme

Si fièrement le roi de la création

Les suit d’un oeil d’envie et s’aperçoit que l’homme

Est moins bien partagé que la bête de somme

Qui borne au champ voisin son humble ambition ;

 

Car elle dort en paix dans l’obscure litière

Pour retourner en paix à ses obscurs labeurs,

Heureuse d’ignorer en marchant dans l’ornière

Ce besoin de monter là-haut vers la lumière,

Âpre mal du pays qui consume nos cœurs...

 

Et de ne pas sentir palpiter en son être

Tous ces désirs confus sans objet ici-bas,

Oiseaux du paradis d’où nous venons peut-être,

Beaux papillons dorés qui heurtent la fenêtre,

Quand nous traînons au pied le boulet des forçats.

 

Mais aux rocs du chemin, le lourd boulet s’émousse,

Mais le temps, jour par jour, vient ébrécher le mur,

Et le prisonnier sent que son aile repousse

Et que Dieu lui fait signe, et que la mort le pousse

Plus haut que l’hirondelle et plus haut que l’azur.

 

 

 

Baronne d’OTTENFELS.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

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