Prière de demande

 

 

NOUS ne demandons pas que le grain sous la meule

Soit jamais replacé dans le cœur de l’épi,

Nous ne demandons pas que l’âme errante et seule

Soit jamais reposée en un jardin fleuri.

 

Nous ne demandons pas que la grappe écrasée

Soit jamais replacée au fronton de la treille,

Et que le lourd frelon et que la jeune abeille

Ne revienne jamais se gorger de rosée.

 

Nous ne demandons pas que la rose vermeille

Soit jamais replacée aux cerceaux du rosier,

Et que le paneton et la lourde corbeille

Retournent vers le fleuve et redeviennent osier.

 

Nous ne demandons pas que le pli de la nappe

Soit effacé avant que revienne le maître,

Et que votre servante et qu’un malheureux être

Soient libérés jamais de cette lourde chape.

 

Nous ne demandons pas que cette auguste table

Soit jamais resservie, à moins que pour un Dieu,

Mais nous n’espérons pas que le grand connétable

Chauffe deux fois ses mains vers un si maigre feu.

 

Nous ne demandons pas qu’une âme fourvoyée

Soit jamais replacée au chemin du bonheur.

Ô reine, il nous suffit d’avoir gardé l’honneur

Et nous ne voulons pas qu’une aide apitoyée

 

Nous remette jamais au chemin de plaisance,

Et nous ne voulons pas qu’une amour soudoyée

Nous remette jamais au chemin d’allégeance,

Ô seul gouvernement d’une âme guerroyée,

 

Régente de la mer et de l’illustre port

Nous ne demandons rien dans ces amendements

Reine, que de garder sous vos commandements

Une fidélité plus forte que la mort.

 

 

 

Charles PÉGUY.

 

Recueilli dans Morceaux

choisis de poésie, Gallimard.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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