De Imitatione Christi

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Adrien PÉLADAN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le plus beau livre qui soit parti

de la main de l’homme, puisque

l’Évangile n’en vient pas.

FONTENELLE.

 

 

Riez, moquez-vous, bafouez, vous tous qui faites consister la sagesse à n’en pas avoir ; qui voyez les plus nobles aspirations de la vie au fond d’une coupe, d’un sac d’écus ou de jouissances que l’âme ne goûte pas. – Riez, moquez-vous, bafouez, vous n’en serez pas Moins les indifférents, dont le souffle atrophie les belles qualités morales, qui sont la sublimité de l’homme ; les insolents de la pensée, qui dénigrent à l’envi les saintetés de la tradition et de la vérité écrite. – Raillez, insultez, sophistes atrabilaires, dont un de vous a osé dire à un écrivain éminent, que dans une lecture de l’Imitation, il avait exhumé les miasmes méphitiques du Moyen-Âge. – Vos hilarités indécentes, vos injurieuses qualifications, n’ôteront à ce livre des âmes, ni un seul de ses transports célestes, ni une seule de ses suavités, pas même une lettre.

Vainement l’humanité se tourmente, se remue avec violence, ou sourit à des illusions d’un moment ; folie et mirage que tout cela, quand il s’agit des réalités de l’existence et de l’avenir. L’homme, être fini, a conscience d’une félicité qu’il cherche et qu’il ne trouve jamais pleinement. Il y eut donc un jour où la plénitude du bonheur exista, puisque je m’en souviens ; il y a donc une béatitude à venir, puisque rien ne saurait me distraire de ce bien inappréciable vers lequel je soupire ? Et la vie placée entre une déchéance dans le passé, une réhabilitation ineffable dans l’avenir, qu’est-elle donc, si ce n’est un désir continuel, si ce n’est une peine expiatoire et réparatrice ? J’ai beau faire, si loin que j’aille, c’est encore une prison ; si haut que j’atteigne, ce n’est pas encore le sommet où réside le ravissement. Mon triste cœur, que l’amour dévore, que la sensibilité altère, rien ne le satisfait, rien ne l’assouvit ! Deux mots, deux mots seulement retentissent éternellement dans l’espace et m’expliquent le mystère qui commence au berceau pour finir à la tombe : consolation, espérance !

D’où me viendront ces deux vierges immortelles, dont la main est une coupe qui éteint la soif ; dont la lèvre distille une parole de miel ; dont le regard est doux comme celui des anges ; dont le sein est un chevet immatériel où le front accablé d’un poids de tristesse et d’ennui se repose comme sur un oreiller de roses, et se relève rasséréné et rafraîchi ?

– Prends et lis, pauvre désolé, les vierges du ciel que tu réclames abattirent un jour leur vol dans la cellule d’un moine, un moine inconnu, mais plus grand que les plus grandes illustrations littéraires de tous les siècles, et lui apportèrent ces contemplations, langage de la gloire béatifique sur cette planète de pleurs ; gage des rassasiements divins dans la sphère ou les tempêtes se taisent, où la lumière dure sans fin.

– J’ai ouvert le volume, et une parole de lumière s’est fait entendre à moi : « Celui qui me suit ne marche point dans les ténèbres. Les discours sublimes ne font pas l’homme juste et saint ; mais une vie pure rend cher à Dieu. Tout ici-bas est vanité. L’orgueil est un abîme, l’humilité, la montagne sainte dont la hauteur touche aux portes du paradis. Un humble paysan qui sert Dieu est certainement fort au-dessus du philosophe superbe qui, se négligeant lui-même, considère le cours des astres. La vérité vient du Verbe, il en est le principe et c’est lui qui parle au-dedans de nous. Plus, on est soumis à Dieu, plus on a de sagesse et de paix en toutes choses. La raison humaine ne comprend presque rien ; toute science est dans les livres révélés. Les hommes passent, mais la vérité du Seigneur demeure éternellement.

» Point de paix dans le cœur de l’homme charnel, de l’homme livré aux choses extérieures. Il s’en va à travers des voies toutes semées de stériles douleurs. Ne vous glorifiez pas dans vos richesses, mais en Dieu qui donne tout. Notre conversation est dans le ciel. Il est quelquefois nécessaire de renoncer à notre sentiment pour le bien de la paix. Heureux les simples, parce qu’ils posséderont une grande paix !

» Il nous est bon d’avoir des peines et des traverses ; celui qui n’a pas été éprouvé, que sait-il ? Le feu éprouve le fer, et la tentation, l’homme : ne jugeons pas promptement ; l’amour-propre altère souvent en nous la droiture du jugement. Ayez la charité. Celui-là fait beaucoup qui aime beaucoup. Dieu regarde moins à l’action qu’au motif qui fait agir. Supportez les défauts d’autrui. Si tous étaient parfaits, qu’aurions-nous de leur part à souffrir pour Dieu ? Ici les hommes sont éprouvés comme l’or dans la fournaise. La vie de ce monde est un combat perpétuel. Heureux le serviteur que le Seigneur, quand il viendra, trouvera veillant. Je vous dis, en vérité, qu’il l’établira sur tous ses biens. Disons avec le Prophète : Nourrissez-moi, Seigneur, du pain des larmes ; abreuvez-moi du calice des pleurs. Nul n’est exempt de tribulations. Il faut passer par le feu avant d’entrer dans le lieu de rafraîchissement.

» Nous n’avons point ici-bas de demeure permanente ; après la mort, le juste habitera les tabernacles éternels. En toutes choses regardez la fin, et reportez-vous au jour où vous serez là, debout devant le juge sévère, à qui rien n’est caché. Dieu est patient, parce qu’il est éternel ; mais devant lui toute iniquité sera muette.

» Les hommes changent vite. Le Christ demeure éternellement. Il protège l’humble et le délivre. Le pacifique est plus utile que le savant. Le cœur s’élève au-dessus de la terre sur deux ailes, la simplicité et la pureté.

» La gloire de l’homme de bien est le témoignage de sa conscience. Il n’y a point de paix pour l’impie. L’amour de la créature est trompeur ; l’amour de Jésus est stable et fidèle. Il change nos gémissements en chants d’allégresse, et nous environne de joie.

» Mes délices, dit le Seigneur, sont d’être avec les enfants des hommes.

– » Inclinez mon cœur, ô Dieu, aux paroles de votre bouche ; qu’elles tombent sur lui comme une douce rosée. Heureux celui que vous instruisez et à qui vous enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et de ne le pas laisser sans consolation sur la terre. Privée de vous, mon âme devient comme une terre sans eau.

– » Celui qui marche devant moi dans la vérité ne craindra nulle attaque. La Vérité, c’est moi.

– » Ô père des miséricordes, vous êtes mon espérance et mon refuge au jour de la tribulation.

– » Je suis Jéhova, c’est mon nom ; je ne le donnerai point à un autre.

– » Et pourtant, Seigneur, l’orgueil tend à s’égaler à vous, à se faire vous. Mais votre tonnerre gronde, il fait entendre vos jugements ; il éclate : comment es-tu tombé, toi qui te levais comme l’astre du matin, qui disais en ton cœur : Je monterai dans les cieux, je poserai mon trône au-dessus des étoiles, et je serai semblable au Très-Haut. Voilà que tu seras traîné aux enfers, dans la profondeur du lac ; on se baissera pour te voir.

» L’amour divin subjugue tout et agrandit les forces de l’âme. Vous faites tonner sur moi vos jugements, Seigneur, et tous mes os ont tremblé d’épouvante, et mon âme est dans une profonde terreur. Interdit, effrayé, je considère que les cieux ne sont pas purs à vos yeux. Ô poids immense ! ô mer sans rivages, où je ne retrouve rien de moi, où je disparais comme le rien au milieu du tout ! Où donc l’orgueil se cachera-t-il ?

– » Si vous désirez la couronne, combattez courageusement, souffrez avec patience.

– » Tendre époux de mon âme, pur objet de son amour, ô mon Jésus, Roi de toutes les créatures ! qui me délivrera de mes liens, qui me donnera des ailes pour voler vers vous et me reposer en vous ? Commandez aux vents et aux tempêtes ; dites à la mer : apaise-toi, à l’aquilon, ne souffle point ; il se fera un grand calme. Envoyez votre lumière et votre vérité, pour qu’elles luisent sur la terre.

» Tout ce qui n’est pas Dieu n’est rien, et ne doit être compté pour rien. Ô lumière éternelle, infiniment élevée au-dessus de toute lumière créée, qu’un de vos rayons, tel que la foudre, parte d’en-haut et pénètre jusqu’au fond le plus intime de mon cœur ! Purifiez, dilatez, éclairez, vivifiez mon âme et toutes ses puissances, pour qu’elle s’unisse à vous dans des transports de joie. Ô ma vérité, ma miséricorde, ô mon Dieu ! Trinité bienheureuse ! à vous seule louange, honneur, gloire, puissance, dans les siècles des siècles !

– » C’est moi qui donne à l’homme la science qui éclaire l’intelligence des petits enfants, et plus que l’homme ne le pourrait par aucun enseignement. Malheur à ceux qui interrogent les hommes sur toutes sortes de questions curieuses et qui s’inquiètent peu d’apprendre à me servir.

– » Ô bienheureuse demeure de la cité céleste ! jour éclatant de l’éternité, que la nuit n’obscurcit jamais, et que la vérité souveraine éclaire perpétuellement de ses rayons, jour immuable de joie et de repos, que nulle vicissitude ne trouble ! Il luit pour les saints dans son éternelle splendeur ; mais nous, voyageurs sur la terre, nous ne le voyons que de trop loin, comme à travers un voile.

» La nature est pleine d’artifices ; la grâce agit avec simplicité. La nature rapporte tout à elle-même ; la grâce ramène tout à Dieu. Plus la nature est affaiblie et vaincue, plus la grâce se répand avec abondance, et rétablit au dedans de l’homme l’image de Dieu.

– » Venez à moi, vous tous qui êtes épuisés de travail et qui êtes chargés, et je vous soulagerai. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. Ô Dieu, créateur invisible du monde, que vous êtes admirable dans ce que vous faites pour nous ! Avec quelle bonté, quelle tendresse, vous veillez sur vos élus, vous donnant vous-même à eux pour nourriture !

– » Plein de confiance en votre bonté et votre grande miséricorde, je m’approche de vous, Seigneur : malade je viens à mon sauveur ; consumé de faim et de soif, je viens à la source de la vie ; pauvre, je viens au Roi du ciel ; esclave, je viens à mon Maître ; créature, je viens à celui qui m’a fait ; désolé, je viens à mon tendre consolateur. Que le ciel et la terre, dans leur parure magnifique, se taisent devant vous, ô mon bien-aimé ! Car tout ce qu’on admire de beau en eux, ils le tiennent de vous, dont la sagesse n’a point de bornes, et jamais ils n’approchent de votre beauté souveraine.

– » Je suis l’ami de la pureté, et c’est de moi que vient toute sainteté. Je cherche un cœur pur, et là est le lieu de mon repos.

– » Ô que votre tendresse est touchante, Seigneur, vous qui, pour montrer à vos enfants tout votre amour, daignez les rassasier d’un pain délicieux qui descend du ciel. Ô Dieu éternel, immense, infiniment puissant, vous faites dans le ciel et sur la terre des choses grandes, incompréhensibles, et nul ne saurait pénétrer ces merveilles ! »

Le voilà, ce livre qui fait pâlir les chants d’Homère, de Pindare, de Virgile et d’Horace, les préceptes de morale de Socrate, de Sénèque ; et de tous les sages ! Le voilà, ce livre respué par d’obscènes remueurs d’idées, par des philosophes sceptiques, effaçant aussi bien les sommités littéraires de notre âge que celles des âges précédents ! Bien faible même est l’idée que peut donner de cet ouvrage incomparable, le sommaire, l’hymne que je viens d’en détacher.

« N’oublions pas, dit Chateaubriand, cette espèce de phénomène du treizième siècle, le livre de l’Imitation de Jésus-Christ. Comment un moine renfermé dans son cloître a-t-il trouvé cette mesure d’expressions, a-t-il acquis cette fine connaissance de l’homme, au milieu d’un siècle où les passions étaient grossières, et le goût plus grossier encore ? Qui lui avait révélé, dans sa solitude, ces mystères du cœur et de l’éloquence ? Un seul maître : Jésus-Christ. »

« Il y a en effet quelque chose de céleste dans la simplicité de ce livre prodigieux. On croirait presque qu’un de ces esprits qui voient Dieu face à face soit venu nous expliquer sa parole et nous révéler ses secrets. On est ému profondément à l’aspect de cette douce lumière, qui nourrit l’âme et la fortifie, et l’échauffe sans la troubler....

» Nulle part on ne trouvera une plus profonde connaissance de l’homme, de ses contradictions, de ses faiblesses, des plus secrets mouvements de son cœur.... Il semble que les bruits de la terre s’éteignent autour de nous. Alors, au milieu d’un grand silence, on n’entend plus qu’une seule voix, qui parle du sauveur Jésus, et vous attire à lui comme par un charme irrésistible. » (LAMENNAIS, Préface de la traduction de l’Imitation.)

» J’étais dans ma prison, seul, dans une petite chambre et profondément triste, Depuis quelques jours j’avais lu les Psaumes, l’Évangile et quelques bons livres. Leur effet avait été rapide, quoique gradué. Déjà j’étais rendu à la foi ; je voyais une lumière nouvelle ; mais elle m’épouvantait et me consternait, en me montrant un abîme, celui de quarante années d’égarement... J’avais sur une table l’Imitation ; et l’on m’avait dit que, dans cet excellent livre, je trouverais souvent la réponse à mes pensées. Je l’ouvre au hasard, et je tombe, en l’ouvrant, sur ces paroles : Me voici, mon fils ! Je viens à vous, parce que vous m’avez invoqué. Je n’en lus pas davantage : l’impression subite que j’éprouvai est au-dessus de toute expression, et il ne m’est pas plus possible de la rendre que de l’oublier. Je tombai la face contre terre, baigné de larmes, étouffé de sanglots, jetant des cris et des paroles entrecoupées. Je sentais mon cœur soulagé et dilaté, mais en même temps comme prêt à se fendre. Assailli d’une foule d’idées et de sentiments, je pleurai assez longtemps, sans qu’il me reste d’ailleurs d’autre souvenir de cette situation, si ce n’est que c’est, sans aucune comparaison, ce que mon cœur a jamais senti de plus violent et de plus délicieux ; et que ces mots, Me voici, mon fils ! ne cessaient de retentir dans mon âme, et d’en ébranler puissamment toutes les facultés. »

– Mais que dira le monde, au milieu duquel cette publication circule, en présence d’un sujet comme celui-ci ? Ainsi s’exprime le tiède. C’est vouloir tomber sous le ridicule, que d’oser, quoiqu’avec bonne foi, nous tenir de semblables discours ; après tout, c’est amusant. – Ainsi dit l’indifférent. – « Singulier songeur, écrira peut-être quelque partisan du progrès indéfini ; cet écrivain cherche l’aurore au couchant, Laissez-le. »

– L’homme tiède, c’est la médiocrité en matière de foi ; de quel droit interrogerait-il ? L’indifférent et l’utopiste, ce sont les adversaires que nous acceptons. À vous, Messieurs.

Je viens de glorifier le livre de l’Imitation, parce qu’il est supérieur à tous les enfantements de la pensée humaine ; à tous les prosateurs, à tous les poètes.

Je l’ai glorifié, parce que vous ne le lisez pas, parce que vous ne l’avez peut-être jamais lu.

Je l’ai glorifié, parce que vous êtes moins tranquilles que vous n’affectez de le demeurer, lorsqu’on vous oppose ces boucliers de diamant de la vérité incréée, contre lesquels vos plus fines lames se rompent.

Je l’ai glorifié pour jeter le trouble dans vos consciences ; vous rappeler l’épée suspendue par un cheveu sur votre tête, convives de l’incroyance et de la vanité.

Je l’ai glorifié, parce que la voix de Dieu crie sans cesse à tout homme de bien : « Lève-toi, et va dans Ninive la grande ville ; là, parle avec force, parce que sa malice est montée jusqu’à moi. »

Puissions-nous, enfants d’un âge qui a mis sa foi dans la bourse et dans les machines, croire au Seigneur, élever nos clameurs En-Haut, comme les Ninivites, et nous ne périrons point.

 

 SURSUM CORDA.

 

Adrien PÉLADAN.

 

Paru dans La France littéraire, artistique,

 scientifique en novembre 1856.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net