Les lamentations du lépreux

 

 

Et j’ai compris toute la misère de l’homme.

LAMENNAIS.      

 

 

 

I.

 

Le Mal.

 

La lèpre fait d’affreux ravages sur mon corps ; le monde me fuit comme un loup enragé ; tout maudit le lépreux ! – Je vais dans des déserts arides me cacher à tous les regards.

 

J’ai vu mon image dans un ruisseau ! – je me suis vu ! – horrible ! j’ai vu la corruption produite par le cancer qui me ronge ; j’ai vu l’abcès d’un mal trop cruel, trop affreux ; j’ai vu... l’os presque à découvert !

 

Et des pieds jusqu’aux reins, et des reins jusqu’à la tête, le mal semble me dire : « Je veux demeurer là. Enfant de l’enfer, je ris, – et d’ailleurs, ne te reste-t-il pas encore un cœur pour me maudire et deux yeux pour pleurer ? »

 

Oh ! comme vous vous êtes envolés, rêves de ma jeunesse, vous qui m’avez bercé de si douces illusions, lorsque vous nourrissiez dans mon cœur l’amour et tous les sentiments tendres, qui ne m’abandonnaient jamais !

 

Maintenant ! que je suis malheureux ! – Accablé de douleurs horribles, je porte mes regards vers la voûte d’azur, j’implore l’Éternel, l’espérance me sourit, m’inonde... Mais pour le lépreux, l’espérance n’est qu’un songe vain et trompeur !

 

Et pas une voix amie pour me consoler ! – (la vie pour moi renferme plus d’épines que de fleurs). Dans mon abattement, pas une âme qui adoucisse et mes peines et mes cuisants chagrins !

 

On dirait que, dans sa colère, le malheur m’a marqué du doigt au front ; on dirait qu’il m’a nourri du lait du désespoir, en me disant : « Lépreux, ta vie est une honte ! »

 

Mais, grand Dieu ! dois-je donc maudire la vie ? Oh ! non ; je sais que l’homme est né pour souffrir. Si tu m’as donné le mal, fais du moins que la patience soit un don qui vienne de toi !

 

 

II.

 

Le Souvenir.

 

Hélas ! plaignez ma destinée ; hommes, pourquoi me blâmez-vous ? Le ciel m’avait créé pour plaire, le ciel m’avait fait pour aimer. Jeune, ma vie était une fête continuelle, que je croyais ne pas avoir de fin. De tout cela que me reste-il ? un doux et cruel souvenir.

 

J’avais des amis, de nombreux amis, des amis qui, à chaque instant, cherchaient tous les moyens de me prouver leur tendresse. Leurs mains couronnaient ma tête de fleurs, que j’ai vues se flétrir en un instant ! De tout cela que me reste-t-il ? un doux et cruel souvenir.

 

Dignes rivales des esprits célestes, des vierges, le jour et la nuit, chantaient de moi mille louanges, et pour moi soupiraient d’amour. Le cœur d’une beauté pure et modeste, à mon cœur brûlait de s’unir. De tout cela que me reste-t-il ? un doux et cruel souvenir.

 

Ensuite je plaçai tout mon bonheur à vivre avec des hommes vils et débauchés, dans les bals et dans les orgies ! Tout, sous la voûte des cieux, semblait rajeunir pour moi. De tout cela que me reste-t-il ? un doux et cruel souvenir.

 

Je vomissais mille blasphèmes contre Dieu, je méprisais l’humanité ; mon cœur, souillé de tous les vices, se plongeait dans la joie de tous les plaisirs. Mais si le ciel dans sa vengeance m’a frappé d’une affreuse maladie, il me reste encore du passé un doux et cruel souvenir.

 

 

III.

 

La Résignation.

 

Tout est fini pour moi ! – mais Dieu qui est un si bon père, veut mettre dans mon cœur un parfait repentir ; s’il m’a donné le mal, c’était pour m’éprouver. Maintenant, quand le lépreux va faire pénitence, allons, mon âme, allons, implore la bonté de celui dont les décrets devaient te réprouver !

 

Dieu puissant ! – si tu voulais écouter la prière fervente du lépreux abandonné de tout l’univers, de ce lépreux qui t’oublia pendant si longtemps, ô grand Dieu ! tu verrais dans ton fils, un fils qui gémit d’être coupable à tes yeux, et qui se jette à tes pieds pour te demander pardon !

 

Le repentir m’inonde, mais le passé m’accuse. Dieu qui vois mes pleurs, si ta voix me réclame, je trouverai encore le bonheur dans mes larmes et dans mes soupirs. Je reconnais à jamais ta justice éternelle ; mais éloigne de ma tête coupable le terrible courroux de ta malédiction !

 

J’ai péché, mais tu m’as puni. – Tu peux me punir encore, – ou laisser suspendue sur ma tête la menace de ton courroux... Je suis soumis à toi. Oui, je suis résigné ; – et mon cœur qui comprend la distance immense qui te sépare de l’homme, te remercie du moins de la vengeance que tu as tirée des crimes que j’ai commis !

 

Si mes tristes erreurs se sont trop tôt dissipées ; si je me souviens encore d’un passé malheureux ; si j’ai trop longtemps vécu, grand Dieu ! sans prononcer ton nom ; si, hélas ! la lèpre me ronge ; eh bien ! il me reste du moins une âme,... une âme misérable. Lui refuserais-tu les douceurs de ton amour ?

 

Oh ! non, certes, mon Dieu ! – ta main puissante qui a façonné mon corps sans cesse tourmenté par la douleur, lui joignit un trésor qui ne périra point, l’essence de ton souffle, essence pure, belle ! tu sais que c’est mon aine ! – elle s’est révoltée contre toi !... et pourtant elle est le trône sur lequel brûle l’amour !

 

Enfin daigne la recevoir ; – je te l’offre comme une expiation. Quand tu l’auras épurée, ah ! fais qu’elle devienne sublime comme lorsqu’elle s’échappa de ton sein paternel ; alors je bénirai ma misère sans remords, et ne songerai plus qu’à toi dans ce monde, jusqu’au moment où je m’endormirai du sommeil qui ne doit pas finir !

 

 

PEYROTTES, faïencier à Montpellier.

 

Recueilli dans Le troubadour moderne ou

Poésies populaires de nos provinces méridionales,

traduites en français par M. Cabrié, 1844.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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