Si je t’avais eue

 

 

Ma fille, ma chérie, ah ! si je t’avais eue,

                     Don fragile et sacré ;

Si j’avais vu grandir ta petite ombre émue

                     Dans mon soleil doré,

 

Je ne t’aurais donné, pour désir, pour fortune,

                     Que le ciel étoilé ;

Je t’aurais enseigné la prière commune

                     Comme le pain de blé.

 

Je t’aurais dit : Sois forte, et sois plus faible, encore,

                     Sois une femme, enfant.

Sache rougir, apprends ce que l’amour honore

                     Et ce qu’il nous défend ;

 

Que tes cheveux soient longs, ta bouche soit pensive,

                     Ah ! comprends que ton sort,

Ton destin éternel est d’être un peu craintive

                     Devant l’homme et la mort.

 

Le trésor amassé par nos mères anciennes,

                     Ne le renions pas...

Ne change pas d’espoirs, de regards et de peines,

                     Sache parler tout bas...

 

Oh ! sois ce que je fus : sincère et désolée,

                     Possède la ferveur

Qui fait mon esprit grave et ma démarche ailée

                     Et déchire mon cœur.

 

Pourtant, j’ai bien souffert, à force d’être femme.

                     Et, par trop de candeur,

Je fis souvent, hélas ! plus de mal à mon âme

                     Que Dieu par le malheur.

 

Sois ce que je fus tant : fidèle, tendre, droite,

                     Et, parfois en secret,

Timide, désarmée, errante, maladroite,

                     Tant mon cœur m’encombrait...

 

Méprise des humains l’ambition unique,

                     Mets plus haut que leurs vœux

Le bonheur d’écouter une heure de musique,

                     La main sur tes cheveux.

 

Dédaigne des humains les mesquines alarmes,

                     La vanité d’un jour...

Ah ! dusses-tu pleurer, enfant, toutes mes larmes,

                     Sois vraie avec l’amour.

 

Oui, sois simple avec lui, sans ruse, je t’en prie,

                     Car le mal, car l’adieu,

Oh ! ce n’est pas d’aimer sans espoir, ma chérie,

                     Mais c’est d’aimer sans Dieu.

 

Noble, va vers l’amour, en élevant la tête,

                     L’air pur et triomphant.

Et puis, fais comme moi : sanglote... Et sois poète,

                     Si tu peux, mon enfant...

 

 

Hélène PICARD.

 

Paru dans Almanach de l’Action

sociale catholique en 1917.

 

 

 

 

 

 

 

 

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