Aurore

 

 

Dans le vieux cimetière endormi sous les deux,

L’herbe est lourde de pleurs que d’invisibles yeux

Du haut du firmament versent dans les ténèbres.

C’est l’heure où, fatigués de leurs appels funèbres,

Dans les murs ruinés, croulants et pleins de trous,

Par terreur du soleil se cachent les hiboux ;

L’heure où la nuit s’enfuit, emportant dans ses voiles

Au fond du ciel pâli les mourantes étoiles...

L’air est déjà moins noir : mais ce n’est pas le jour.

 

Dans l’ombre transparente, on devine la tour

Du clocher qui, des morts surveillant la demeure,

Hurle aux vivants les glas et leur compte chaque heure,

Cri du Temps qui vieillit, aux seuls vivants jeté,

Car l’heure, chez les morts, s’appelle Éternité.

 

Au bas du cimetière en pente vers l’aurore,

Vaguement entrevu, le hameau dort encore.

Pas un feu, pas un bruit ; ni mouvement, ni voix ;

Silence grandiose au milieu de ces croix.

 

Cependant l’horizon est tout blanc de lumière.

Clocher, maisons, tombeaux, tout sort de l’ombre, et, fière,

La haute voix d’un coq annonçant le soleil

Sonne, comme un clairon, le réveil, le réveil...

Et, comme autant d’échos, d’autres clairons répondent :

Et mille bruits dans l’air passent et se confondent :

Un volet en s’ouvrant grince et bat contre un mur ;

Un verrou crie et geint ; des pas sur le sol dur

Font claquer des sabots en alarmant une oie ;

Un moineau chante ; un bœuf mugit ; un dogue aboie.

Au clocher du cadran quatre coups ont tinté :

Et, soudain, le hameau semble ressuscité.

 

Se réveilleront-ils aussi, les morts que j’aime ?

Les reverrai-je un jour, dans l’azur où Dieu sème,

Énormes grains de feu, les astres flamboyants ?

Comme je voudrais croire avec les vrais croyants,

O mes chers disparus, que nous avons des ailes !

Croire qu’il est un lieu plein de fleurs éternelles

Et d’arbres merveilleux caressés par le vol

D’oiseaux chantant l’amour mieux que le rossignol,

Où tout est pureté, splendeur, joie, harmonie,

Où l’âme à l’âme-sœur reste à jamais unie !

Croire enfin qu’animés par la Divinité,

Nous avons droit, comme elle, à l’immortalité !

 

Et, tandis que je songe, un rayon qui vous dore,

Ô croix ! vous baise au front et vous parle d’aurore.

 

 

 

Paul PIONIS.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1893.

 

 

 

 

 

 

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