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Bois sacrés


                              I

Lorsque la foi païenne occupait l’âme antique,
La Grèce et l’Italie avaient leurs bois sacrés ;
Les nôtres sont les bois de ce château rustique,
Témoins, pieux aussi, de nos jours vénérés.

C’est là, dans leurs sentiers, là, sous ces mêmes branches,
Que nous avons passé, plus jeunes, moins pensifs ;
Celle qui nous quitta, l’aïeule aux mèches blanches,
Savait le nombre d’ans que comptaient les vieux ifs.

Sur les piliers carrés où se scelle la grille
Les deux lions de pierre érigent leur fierté ;
L’or léger des tilleuls tout autour s’éparpille
Comme jadis, aux jours déclinants de l’été.

Ô toi mon cher amour et ma dernière muse,
Ma force consolante aux jours de trahison,
Si nous sommes vaincus par le nombre et la ruse,
Viens nous réfugier dans la vieille maison.

Reviens vers ton enfance et ce qui t’a vu naître,
Vers ce qu’aimaient les coeurs dont ton coeur se forma...
Voici la grande salle, et le coin de fenêtre
Où, sous tes yeux ravis, le livre s’anima.

Et voici, tout auprès du manoir, l’humble temple
Où tu chantas d’abord les bienfaits de ton Dieu,
Quand, nourrie à la fois de précepte et d’exemple,
Tu croissais en sagesse aux marches du saint lieu.


                              II

Le toit qui fut en fête au jour de ton baptême
Et dans l’ombre duquel nous attend un tombeau,
Comment ne pas l’aimer d’être toujours le même,
Quand tout, autour de nous, se fait pire et nouveau ?

Quand le Glaive et la Croix, quand tout ce que notre âge
Honorait, chérissait d’un coeur reconnaissant,
S’enfonce dans la nuit de l’exil, sous l’outrage,
Parmi les cris de joie et le rire indécent ;

Quand l’homme a renié les sentiments sublimes
Pour la plus misérable entre les vanités,
La Science, qu’il suit au sang de ses victimes
Par des chemins sans but, d’âcre odeur empestés ;

Quand la foule, rêvant une éternelle fête,
N’entend plus honorer ni martyr, ni héros ;
Quand sont venus les jours prédits par le poète,
le peuple voudra des combats de taureaux,

Ah ! retournons mourir où nous n’avons pu vivre !
Fuyons, d’un coeur blessé par delà le pardon,
La brutale cité que son orgueil enivre,
Que Dieu frappe déjà par un juste abandon.


                              III

Peupliers aussi hauts que la tour de l’église,
Vieux hêtres pleins de nid, et gigantesques houx,
Sapins aux rameaux droits, orme, chêne ou cytise,
Les aïeux disparus vous ont plantés pour nous.

C’était lorsqu’au ciel pur montait l’astre des Jules !
Les coteaux verdissaient sous la vigne et les blés...
Quelques vieillards, devant les rouges crépuscules,
Seuls craignaient pour leurs fils des lendemains voilés.

Et l’orage accourut, suivi de saisons mornes ;
L’eau, s’épanchant du ciel avec de longs frissons,
Nivela les talus, déracina les bornes
Et noya tout l’espoir de nos belles moissons.

Ils ont moins résisté que le roseau fragile
Né, le pied dans la vase, au rebord du chemin,
Les poiriers que, pareils au Daphnis de Virgile,
Nos pères vigilants greffèrent de leur main.

Les épis morts, les fruits perdus jonchent la terre ;
Mais vous êtes debout, dernier asile, ô bois !
Vous nous offrez encor vos arches de mystère,
Vos lents détours, peuplés des ombres d’autrefois.

Sous leurs dômes flottants vos autels de verdure
Reconnaissent les pas du pèlerin lassé,
Qui, s’échappant d’un monde où rien de bon ne dure,
Par vos sentiers secrets retourne à son passé.


                              IV

Entre nos jours mortels, inexplicable rêve,
Et cette éternité qui suit le Jugement,
Ô bois ! accordez-nous le bienfait d’une trêve,
Une heure de repos et de recueillement.

Laissez-nous, à l’abri de vos temples sévères,
Méditant des vertus que le siècle proscrit
Et qui firent l’honneur du destin de nos pères,
Une dernière fois les revivre en esprit ;

Revivre les saisons divines de l’enfance,
Quand une route en fleurs sans fin se déployait,
Quand la mort, qui vers nous rapidement s’avance,
Était si loin, si loin qu’à peine on y croyait !

Quand ceux qui nous aimaient d’une tendresse unique,
Dessus et dessous terre aujourd’hui dispersés,
Nous préparaient l’accueil du foyer domestique,
Prenant leur part des maux dont nous étions blessés.


                              V

Beaux arbres flagellés vainement par la pluie,
Restés droits sous l’assaut furieux des hivers,
Si l’orage s’apaise, un rayon d’or essuie
La nappe ruisselante à vos feuillages verts.

Un exemple sacré plane dans vos ramures,
Ces échelons du rêve entre la terre et Dieu :
Nulle révolte au fond de vos puissants murmures,
Nul orgueil dans l’élan qui vous porte au ciel bleu !

Déchiré sourdement de regrets et de crainte,
Vers vous, ô calmes bois ! me voici revenu,
Et je m’attache à vous d’une suprême étreinte,
Dans l’effroi de partir pour un monde inconnu.

Ne me refusez pas la halte sous l’ombrage ;
Pareils à l’oasis qu’on trouve à mi-chemin,
Aidez-moi, vieux amis, à reprendre courage
De l’épreuve d’hier à celle de demain.


                              VI

Bientôt je rejoindrai ceux qui m’ont, dans la tombe,
Précédé pour dormir du sommeil de la paix,
Et c’est pourquoi mes yeux, à l’heure où le jour tombe,
Aiment l’obscurité de vos berceaux épais.

Vous savez si, longtemps, j’avais rêvé de vivre
Sur le sol nourricier, des aïeux hérité ;
Mais, esclave vieilli de la plume et du livre,
Je n’ai point amassé l’or de ma liberté.

Trouvant amer le pain qu’on mange dans les villes,
Je fus un étranger parmi leurs citoyens ;
Tant d’agitations frivoles et serviles
Ont accru dans mon coeur le désir des vrais biens.

Aussi dès qu’on instant la chaîne se relâche,
Comme j’accours vers vous, mes chemins favoris !
Et comme je reprends l’utile et noble tâche
Dont tant de jours perdus me font sentir le prix !

Devant ce vieux noyer, dans ce coin où se mêle
Le frêne avec le charme et les sureaux en fleur,
Un jour j’imaginai tout le destin d’Angèle,
Et, comme son amour, je vécus sa douleur.

Le long de ces ormeaux, quand Vesper illumine
Le ciel encore clair des fins de jours d’été,
Poète vieillissant qui lentement chemine,
J’ai conçu plus d’un vers où renaît ma fierté !

Mais surtout c’est ici qu’hier, ô mon amie !
(Hier, vingt ans passés), tu me donnas ton coeur,
Et qu’en ton jeune esprit ma pensée affermie
Pour un nouvel essor retrempa sa vigueur.

Pareil à l’arbrisseau qui se sèche et s’incline
Transplanté d’une serre à l’autre sans succès,
J’ai retrouvé ma force en reprenant racine,
Grâce à toi, dans ce sol catholique et français.


                              VII

Maintenant, soyons prêts à les rendre au vrai Maître,
Ces bois qu’il nous prêta pendant quelques saisons.
Que d’autres, ô Seigneur, puissent le méconnaître ;
À vous seul appartient ce dont nous disposons.

Je n’ose demander que mes fils et mes filles,
Libres de fuir un monde insolent et flétri,
Abritent leur destin sous ces mêmes charmilles
Où l’oeil bleu de leur mère à leurs jeux a souri.

Car seule vous savez, divine Providence,
En cette vie obscure où sont nos intérêts ;
J’éviterai l’orgueil et la folle imprudence
De paraître, en priant, vous dicter vos décrets.

Je remets en vos mains ce que j’ai, ce que j’aime,
Ce qu’un jour m’a donné, ce qu’un jour me prendra,
Le passé, l’avenir, et les miens, et moi-même,
Pour en faire, ô mon Dieu ! selon qu’il vous plaira.




Frédéric PLESSIS, Gallica, 1904.



 

 

 

 

 

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