Le réveil

 

 

L’AUBE luit ! La forge s’allume

Et s’emplit d’un fauve reflet.

J’entends déjà chanter l’enclume

Et ronfler le puissant soufflet.

 

Surpris que le bruit de la forge

L’éveille, à la riposte ardent,

Le coq, jaloux, à pleine gorge,

Lance son cri rauque et strident.

 

De toutes les fermes voisines,

À ce chant plus d’un chant répond ;

L’écho matinal des collines

Le répète au ravin profond.

 

Alors le paysan s’éveille,

Bénissant Dieu de son repos,

Pendant qu’arrive à son oreille

Le bêlement sourd des troupeaux.

 

L’orient déjà se colore

D’une teinte aux mille couleurs,

Puis les feux de la blanche aurore

Font fuir, l’aube aux pâles lueurs.

 

L’Angélus, plus tardif, appelle

Le laboureur à ses moissons,

Le prêtre à son humble chapelle,

L’abeille aux fleurs des verts buissons.

 

Et lorsque le soleil, sang voiles,

Émerge au bord de l’horizon,

Éteignant toutes les étoiles

Pour les semer sur le gazon,

 

De sa voix claire et monotone,

De nos bois orgueilleux chanteur,

Le rossignol gaîment entonne

Son hymne au divin créateur.

 

La brume lentement s’effrange

Sur la crête des verts coteaux ;

Du sol une buée étrange

Lèche les vallons, les plateaux.

 

L’homme est aux champs, l’oiseau babille,

L’abeille aux fleurs prend son butin ;

Moi seul, indolent, je gaspille

Les belles heures du matin !

 

Les nobles champs de la pensée

N’ont-ils pas aussi leurs sillons ?

D’inutiles rêves bercée,

Alerte, muse, et travaillons !

 

Car toutes ces voix que j’écoute

Semblent dire en un vaste accord :

« Oh ! réveillons, coûte que coûte,

Le paresseux qui dort encor ! »

 

 

 

Adolphe POISSON,

Heures perdues, 1895.