Bonaparte et Byron

 

 

Ils tenaient tous les deux de l’homme et du géant ;

Tous deux sous des lauriers cachaient le sceau du crime ;

L’enfer au ciel, dit-on, s’unit en les créant ;

Ils révélaient un Dieu par leur regard sublime,

Et l’accent de leur voix trahissait tout l’abîme,

Tout... le dédain de l’être et l’horreur du néant.

 

Loin, bien loin derrière eux les grands hommes vulgaires !

Ils embrassaient tous deux vingt palmes à la fois.

L’un porta la pensée au noir chaos des guerres,

Et ce flambeau céleste éclaira ses exploits ;

Il sut vaincre le monde et lui dicter des lois :

Poétique héros qu’il éclipsait naguères,

L’autre montait déjà plus haut qu’au rang des rois.

 

Tons les deux loin du trône étaient nés pour l’empire.

Contempteurs des humains dont ils étaient l’orgueil,

Tyrans des faibles cœurs qu’ils plongeaient dans le deuil,

Ils sont morts ; leur génie encor brille et respire ;

Ils règnent à jamais du fond de leur cercueil.

 

L’un d’eux, ne demandant qu’un sceptre à la Victoire,

Croyant à la puissance et non pas à la gloire,

Sous ses pas tout sanglants foula l’antique honneur :

L’autre a sacrifié sa vie à sa mémoire ;

Il croyait à la gloire et non pas au bonheur.

 

Nos yeux ont contemplé ce double phénomène.

Phares majestueux de l’existence humaine,

Tous deux se sont éteints en leur brillant midi.

Mais le vent du trépas pour l’un fut sans haleine,

Il n’eut plus à frapper qu’un débris engourdi :

La mort arrêta l’autre, et pourtant l’a grandi.

Combien Missolonghi domine Sainte-Hélène !

 

Sainte-Hélène n’est plus qu’un sombre souvenir ;

L’autre est un grand destin promis à l’avenir.

Bonaparte et Byron nous lèguent leur exemple ;

Qu’ils soient d’après leurs dons jugés par l’univers.

Mortels, paix au tombeau de qui forgea vos fers !

À qui les a brisés votre amour doit un temple.

 

L’un s’enivra longtemps d’hommages imposteurs ;

Il mourut insulté par ses plus vils flatteurs :

Voilons tant de splendeur que l’opprobre a suivie.

L’autre, dès son aurore assiégé par l’envie,

N’a pas vu s’apaiser ses cris accusateurs :

En pleurant son trépas il faut venger sa vie.

 

« Non, disait Albion au vulgaire insolent

Qui poursuivait Byron de sa haine éphémère,

« Ne me reprochez plus son coupable talent :

« Il se consumera sous un climat brûlant ;

« Ne me reprochez plus d’avoir un cœur de mère. »

 

Viens, Albion ; c’est moi qui t’ose interroger.

Toi qui l’as renié, dis-moi quel est son crime.

C’est un crime du cœur dont un cœur fuit victime,

Que lui-même a puni, que Dieu seul peut juger ;

Un crime enseveli dans sa triste mémoire,

Couvert du voile épais étendu sur son sort,

Et que ce monde impur qui veut flétrir sa gloire,

N’eût pas daigné peut-être honorer d’un remord.

 

Dans son dernier séjour, faut-il donc le poursuivre ?

Faut-il encor troubler son éternel repos ?

Sous votre ciel brumeux il n’a pas voulu vivre,

Fiers Bretons, ni surtout mourir sous vos drapeaux,

À partager sa gloire osez-vous bien prétendre ?

Dans son pays natal vous exilez sa cendre :

Mais son cœur indigné de vos pleurs importuns,

N’habitera jamais votre île ténébreuse ;

Il dort aux lieux chéris où la rose amoureuse,

Aux soupirs de Bulbul 1 répond par des parfums.

 

C’est là, là seulement que l’écho de sa lyre

Peut inspirer encor son généreux délire,

Et que son sang glacé peut joindre encor sa voix

Au sang divin du Juste expiré sur la croix.

Les tombeaux seuls un jour affranchiront la Grèce ;

Ils arment pour ses droits les siècles révolus.

Byron meurt ; pourquoi donc cette intime allégresse ?

Stupides Ottomans, c’est un tombeau de plus !

 

 

Comte Gaspard de PONS.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.

 

 

 

 

 



1 Voyez dans la Fiancée d’Abydos, la fable charmante des Amours de la Rose et du Rossignol, que Byron y désigne lui-même par le nom oriental de Bulbul. (Note de l’auteur.)

 

 

 

 

 

 

 

 

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