L’ami Bonaventure

 

 

Qui est, m’as-tu demandé, ce Bonaventure

qu’on entrevoit souvent dans tes poèmes

et à qui parfois tu dédies tes écrits ?

Où vit-il, dans quel creux de combe déserte ?

 

Sa ferme, il se peut qu’on l’appelle

Mas de Conque Perdue, ou Ferme de l’Oiseau,

puisque tout en tournant le sentier y conduit,

ou bien le Mas Vermeil entre les champs de vigne

 

Qu’importe, du reste, le chemin ?

Bonaventure, où que ce soit, tu le rencontres,

aujourd’hui sur quelque coteau solitaire,

et demain sous le verne qui redevient tout bleu.

 

Son front, il l’illumine de franchise,

mesure ce qu’il dit aux rayons du bon sens,

avec une pointe d’efficace délicatesse,

sans rien d’orgueil ni de dédain.

 

Il ignore les souffles de l’envie.

Si elle frappe elle est frappée.

Comme dessus le sable l’eau est claire,

il offre le cristal de son esprit.

 

Il n’est jamais en parlant téméraire.

Sa parole exhale un parfum de campagne ;

il feuillette chez lui son dictionnaire

ou quelque traité d’histoire naturelle.

 

Item un livre ancien d’agriculture

miroir de son office paysan

et quand il scrute les secrets de la nature

il ne s’occupe guère des murmures du monde.

 

Il a aussi un grain de fantaisie :

dans le serein il joue de son flabiol

la rousseur des raisins fait sa joie

et le vol neigeux du loriot.

 

Au crapaud il prête une fable

pour l’almanach de l’an prochain.

Il suit dans l’ombre du retable

le regard d’un ange avenant.

 

Tu vas dire, peut-être, que cet ami imaginaire

je l’ai sans doute en moi-même songé.

Mais je ne vois personne à qui le comparer

Ni qui l’égale en sa fidélité.

 

À l’heure de l’angoisse et de la peine

il me console et me distrait à suffisance,

Ami propice, il accourt près de moi,

Bonaventure est la lumière de l’esprit.

 

 

 

Josep-Sebastià PONS.

 

 

Recueilli dans J. S. Pons,

par Yves Rouquette,

Seghers, 1963.

 

 

 

 

 

 

 

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